L’odyssée des 33 mineurs de San José, qui viennent de retrouver le jour après 70 jours de captivité par 700 mètres de fond, sera pour l’avenir une inépuisable source de symboles.
Journaux et télévisions s’arrachent l’exclusivité des récits des mineurs. On parle déjà de films et de livres. Le tabloïd britannique Daily Star, dont l’exactitude de l’information n’est pas la principale préoccupation, annonce même l’ouverture d’un parc touristique ! Sans attendre la réalisation de ces projets fébriles, l’aventure des « 33 » est déjà riche de symboles que l’on retrouvera à coup sûr dans la bande dessinée, la littérature et jusque dans la mode.
Le nom « 33 » d’abord : la signature du premier message envoyé par le groupe lorsqu’une sonde découvrit leur refuge après dix-sept jours d’agonie ; l’âge supposé du Christ lors de sa crucifixion. Peu importe si le groupe fut initialement de 28 + 5, employés par des sous-traitants différents et opposés au point, semble-t-il, d’en être venus aux mains. On retiendra la solidarité des « 33 », leur rage de vivre, leur capacité à s’organiser dans des conditions extrêmes.
Le sentiment, lors de l’extraction de chaque mineur, d’assister à un accouchement, à une seconde naissance. Les sauveteurs qui encouragent de la voix le bébé sur le point d’arriver, l’exultation des proches lorsqu’arrive la délivrance.
La caverne, les dieux se livrant des batailles homériques, les enfers.
La capsule Phénix, aux couleurs blanche et rouge comme la fusée de Tintin. Le paysage lunaire du fond de la mine. La longue ascension, avec une caméra embarquée comme dans la navette spatiale.
Et puis les lunettes noires, un signe distinctif des morts vivants d’avec les vivants, la preuve tangible que le retour à la surface n’est pas encore retour à la vie.
L’odyssée des 33 avec son heureux dénouement est entrée en direct dans la mythologie moderne, une sorte de Titanic à l’envers.
Dans The Guardian du 14 octobre, Deborah Orr rappelle ce que l’humanité doit aux mineurs qui, pendant des siècles, ont extrait les matériaux dont elle a besoin pour créer la civilisation. Elle parle de son grand-père, mineur de charbon mort d’une maladie des poumons bien avant sa naissance. « Mon père n’était pas un homme particulièrement expansif ou démonstratif. Mais lorsque j’étais adolescente et que je « faisais » la mine à l’école, il se prit un soir d’un intérêt soudain et peu habituel pour mon travail. On m’avait demandé de dessiner un homme travaillant dans la mine, et mon mineur était debout, taillant dans un grand mur de charbon.
« Ce n’est pas comme cela », dit mon père avec passion. « Les veines de charbon ne sont pas comme cela. Elles suivent les plis de la roche et elles sont souvent très étroites. Les hommes sont couchés, courbés dans l’eau sale infestée de rats, ils se tendent de toutes leurs forces pour suivre le charbon. Ils prennent leur déjeuner comme cela. Ton grand-père haïssait cela et appréhendait chaque jour qu’il y descendait. Imagine descendre là-dessous, effrayé, dans un ascenseur branlant rempli d’autres hommes effrayés, six jours par semaine. Ton grand-père disait que les ascenseurs, dans le sens de la descente, étaient toujours silencieux, chaque jour. Tout le monde avait peur. Chaque jour. »
Photo The Guardian : le sauveteur Manuel González se prépara à descendre dans la mine à bord de la navette Phénix pour préparer les « 33 » pour leur remontée.