La revue Bancal a récemment publié « Saxifrages, fictions carcérales », un ouvrage qui raconte la condition carcérale à base de nouvelles, d’images et de citations de poèmes et de chansons.
La quatrième de couverture porte la définition de « saxifrage » : « nom féminin (botanique). Plante herbacée qui pousse dans les rochers, sur les vieux murs, au milieu des pierres. Les fleurs saxifrages – comme les mots qui s’échappent des prisons – s’épanouissent dans les zones d’ombre, se nourrissent de l’austérité des murs et de la dureté du réel. »
Dix écrivains ont rédigé une nouvelle à partir d’extraits de lettres échangées dans les années 1990 par une bénévole du Secours Catholique et un détenu à la prison de Fresnes. Chacun des textes est précédé d’une image originale, créée par dix illustrateurs différents. La playlist de l’ouvrage est constituée de chansons, à commencer par Mr Bojangles, de Nina Simon :
« Je l’ai rencontré dans une cellule à la Nouvelle-Orléans
J’étais au fond du trou
Il m’a regardé avec le regard de ceux qui ont tout vu
Et il s’est mis aussitôt à parler
Il a parlé de la vie, de la vie
Il a ri, et a ébauché un pas de danse ».
On se laisse captiver par la tendre poésie qui émane de ces textes inspirés par l’enfer de Fresnes. Le livre est aussi rempli d’observations de la réalité carcérale. J’ai en particulier retenu ce texte de Fabrice Schurmans intitulé « lignes de fuite » :
« Au départ, on ne sait rien, on ne reconnaît rien, ne décode rien. Comme un analphabète. Il faut tout apprendre. À l’instant où l’on pénètre dans l’austère bâtisse, un règlement inédit s’applique, celui de l’institution elle-même, qui régira l’organisation de notre nouvelle vie : promenades, repas, douches (je mets le pluriel même si nous n’y avons droit que deux fois par semaine), téléphone, visites. Puis vient l’autre règlement, celui des taulards, que chaque « génération » transmet à la suivante. Il porte sur les niveaux hiérarchiques, les actes à poser ou à éviter, les combines permettant de s’attirer les bonnes grâces des matons, les regards, les postures, bref une accumulation de règles et d’exceptions dont je commence à peine à percevoir l’ordonnancement. Il existe une grammaire de la prison que tout néophyte se doit de saisir s’il veut sortir entier. »