« Sociologie de la prison », ouvrage de Philippe Combessie initialement paru en 2001, a été réédité quatre fois, la dernière en 2018. Il constitue une remarquable synthèse des connaissances sur la réalité de la prison.
La bibliographie contient des références de livres de plus de deux cents auteurs. Combessie s’intéresse successivement aux fonctions de la prison ; à la description des locaux d’enfermement et à leurs occupants, détenus, personnel et intervenants ponctuels ; aux politiques pénales et pénitentiaires ; à la prison comme société avec ses propres règles et sa propre culture ; et inversement, à la prison comme partie intégrante d’une société dont elle révèle les caractéristiques.
La prison a partie liée avec la pauvreté. L’auteur cite des chiffres. En 1985, 57,7% des détenus en maison d’arrêt vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 14,5% des ménages dans la société française. En 1999, 10,5% des détenus déclaraient ne pas connaître la profession de leur père, contre seulement 4% dans la population générale ; pour la majorité d’entre eux, cela signifie qu’ils ne connaissent pas leur père. Enfin dans plus de 51% des cas, les pères des détenus sont nés hors de France.
La pauvreté n’est pas seulement financière. « Ne fait-on pas jouer à la prison, demande l’auteur, un rôle de réduction des risques qui étaient autrefois – ou qui pourraient être aujourd’hui – tenus par d’autres types de structures, notamment chargées du suivi et du traitement de problèmes de santé physique ou mentale ? »
La vie en prison
La vie en prison est régie par une logique opposée à celle d’une société démocratique. « Dans une société démocratique, tout ce qui n’est pas expressément interdit par une loi ou un règlement est autorisé, alors qu’en prison c’est exactement l’inverse (tout ce qui n’est pas expressément autorisé par la loi ou un règlement interne est interdit). »
L’auteur souligne toutefois qu’une marge de flexibilité est indispensable. « Le maintien de l’ordre dans la prison confronte toujours l’administration à l’équilibre à maintenir entre un contrôle interne très rigoureux, qui favorise le déchaînement de violences, et un contrôle relâché, qui fait craindre le développement du caïdat. » Ou encore : ce n’est pas sur le droit que peut être fondée la paix sociale en prison. Cette paix repose sur de multiples échanges informels, notamment entre détenus et surveillants », dans une logique de don et contre-don.
Combessie insiste sur une caractéristique de la vie en détention : l’incertitude. Celle-ci est maximale avant le procès, lorsque « chaque jour est potentiellement porteur d’une décision qui change radicalement l’existence du détenu » Elle perdure aussi lorsqu’un détenu est condamné et que commence ce que l’auteur appelle ironiquement le « tourisme pénitentiaire » : « en moyenne, en 2017, les détenus purgeant des peines supérieures à dix ans restaient moins de dix mois d’affilée dans une même prison. »
Les effets néfastes de la prison
L’auteur souligne les effets néfastes de la prison sur le détenu. Il évoque la stigmatisation, « qui lie presque irrévocablement l’infraction qu’on lui reproche avec l’ensemble de sa personnalité, comme si les différentes facettes de son identité sociale étaient phagocytées par le comportement qui, un jour, l’a conduit à franchir une limite que la société ne tolérait pas. »
Il décrit ce qu’un sociologue a qualifié de « prisonniérisation » : « plus l’enfermement dure, plus le détenu incorpore les habitudes spécifiques du monde carcéral : ne plus ouvrir les portes, faire ses besoins devant témoins, ne prendre aucune initiative, etc. À la libération, nombre de ces habitudes acquises en prison vont s’ajouter aux handicaps de l’ancien détenu et rendre encore plus difficile son insertion dans le monde libre. »
L’auteur invite à réfléchir au sens de la prison. Dans l’imaginaire collectif, marqué par l’imaginaire religieux du châtiment divin, le condamné doit expier ses fautes. On compte aussi sur le caractère dissuasif de la prison pour que les délinquants en puissance renoncent aux actes déviants.
Les doctrines de la peine de prison
Philippe Combessie décrit trois familles de « doctrines » de la peine de prison. Les doctrines du juste dû postulent que la force est dans la simplicité de la loi, qui doit s’appliquer à chaque individu en fonction de l’acte commis. À chaque infraction, sa punition quelles que soient les circonstances dans lesquelles elle a été commise. L’instauration de « peines plancher » en 2012 s’inscrit dans cette logique.
Les doctrines de défense sociale postulent qu’il ne faut enfermer que les criminels dangereux, et que la durée de l’enfermement doit dépendre de la durée et de l’évolution de la dangerosité. La « rétention de sûreté », instituée en 1988, permet ainsi de maintenir enfermés des individus qu’on estime dangereux, bien qu’ils aient effectué le temps de prison auquel ils avaient été condamnés.
Enfin, l’auteur évoque les doctrines du traitement, qui postulent qu’il faut enfermer tous les criminels, et que l’isolement, associé à un traitement adéquat, pourra les rendre meilleurs. La définition de « parcours d’exécution de peine » suivis par les conseillers d’insertion et de probation correspond à cette idée que la délinquance et la criminalité sont des pathologies que l’on peut traiter, à l’image des pathologies médicales soignées par l’hôpital.
Comment améliorer la prison ?
Comment améliorer la prison ? Philippe Combessie remarque que l’accroissement sans frein de la population carcérale réduit la possibilité de mener une politique pénitentiaire d’aide à la réinsertion des personnes incarcérées. Il observe que ce n’est pas l’accroissement des flux entrants qui est en cause, mais l’accroissement de la durée moyenne de la détention. Elle est passé de 4,4 mois en 1974 à 10,8 mois en 2017. « Au total, la durée moyenne d’enfermement a plus que doublé en moins de quarante ans. Cette indication moyenne masque un phénomène de dualisation : diminution du nombre de détenus pour de courts séjours en prison (avant ou après procès) et augmentation du nombre des enfermements de longue durée. »
Autrement dit, le développement de peines alternatives aux courtes incarcérations ne suffit pas. Il faudrait résolument revoir l’échelle des peines, et réduire de moitié les peines encourues pour des infractions graves. La société s’en porterait-elle plus mal ? Pas sûr, répond l’auteur.