Suprêmes

Canal+ a diffusé récemment « Suprêmes », film d’Audrey Estrougo (2021) sur l’histoire du groupe rap « Suprême NTM », de sa naissance en 1989 à son premier concert au Zénith en 1992.

 Dans une cité de Saint Denis, dans le « 9-3 », les jeunes sont confrontés à la violence policière, à l’absence de travail et de perspectives, à la discrimination, à la violence des bandes. À Vaulx en Velin, des émeutes urbaines éclateront en 1990. La révolte gronde aussi à Saint-Denis. De nouveaux codes, venus des États-Unis, le rap et le hip-hop, donnent corps à cette révolte.

 Une bande d’une trentaine de jeunes se forme autour de deux leaders : Bruno Lopes (Sandor Funtek), d’origine portugaise, et Didier Morville (Théo Christine), dont les deux parents sont Martiniquais. Bruno adopte le nom de Kool Shen, Didier celui de JoeyStarr. Les textes qu’ils écrivent sont provocateurs et violents. Sur scène, ils électrisent leur public.

Un tout jeune producteur, Sébastien Farran (Félix Lefebvre), quoiqu’appartenant à la bourgeoisie aisée, croit dans ces jeunes chevaux fous. Visionnaire, il leur propose d’enregistrer un disque, de partir dans une tournée qui devient vite ingérable tant le comportement du groupe est contraire à la bienséance. Peu à peu, la notoriété de ce groupe dénommé Suprême NTM s’étend. Elle culmine avec un premier concert au Zénith.

 L’aventure des Suprême NTM est masculine. Les femmes n’y jouent aucun rôle actif. Le nom NTM (« nique ta mère ») est révélateur. Sur scène, à mesure que monte l’adrénaline et la testostérone, c’est un orgasme mâle qui se joue.

 Le film insiste sur deux affrontements entre hommes. Didier lutte pour gagner la reconnaissance de son père (joué par Jean-Louis Loca). Mais celui-ci est impitoyable : tu n’es qu’une merde, tu n’es bon à rien, ta musique est à jeter… Le père dit au fils qu’il ne veut plus le voir. Ce dernier répond qu’il faut qu’il se prépare à le voir partout, sur des affiches, à la télévision.

Didier / JoeyStarr s’affronte à Bruno / Kool Shen pour le leadership du groupe. Le premier est un écorché vif, une pile électrique prête à tout carboniser. Bruno fixe le cap, impose un cadre. Didier rue dans les brancards, mais finit par se conformer. Il est rare, dans une organisation, que deux leaders coexistent. Bruno et Didier sont unis par une même passion pour « leur musique ». Ils sont de tempéraments si différents qu’ils se complètent sans se détruire.

 J’ai aimé le film d’Audrey Estrougo. Je reste profondément allergique au rap, imprégné que je suis de Georges Brassens ou Jean Ferrat. Mais la plongée proposée par la cinéaste dans un univers si étranger a constitué pour moi une sorte de voyage. Elle m’a aussi fait sentir le mur de défiance et d’abandon qui s’est construit entre la ville et ses banlieues, qui a progressivement conduit à la radicalisation de jeunes attirés vers le terrorisme.

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