« Transhumances » souhaite à ses lecteurs une année 2013 de lucidité et de détermination.
Dans cette photo publiée par The Guardian, la photographe Virginie Nguyen Hoang rend palpable la détermination de jeunes manifestants d’Alep, en Syrie. Ils savent les dangers immédiats qu’ils encourent, et ils pressentent sans doute aussi les difficultés àvenir après la victoire. Ils sont fatigués mais déterminés à faire entendre leur voix.
En France, les incohérences du gouvernement issu des élections de mai montrent combien il est compliqué de construire une politique pertinente et constante dans un monde qui change de manière accélérée. L’humeur est au désenchantement. Puissions-nous retrouver l’espoir, la rage de s’en sortir et la volonté d’aller de l’avant quoi qu’il en coûte qui animent les jeunes d’Alep et d’ailleurs dans le monde.
C’est le vœu que je formule pour vous-mêmes, vos familles et vos amis pour cette année nouvelle !
Le roman de Haruki Murakami « 1Q84 » (publié au Japon en 2009, traduit en français par Hélène Morita, Belfond 2011) nous raconte une étrange et captivante histoire, à la frontière du monde sensible et d’un autre monde dans lequel plusieurs échelles temporelles coexistent. « Transhumances » rend ici compte du livre 1, qui couvre la période d’avril à juin. Les livres 2 et 3 ont déjà été publiés en français.
L’histoire se déroule au Japon en 1984. La référence au roman de George Orwell est intentionnelle. Comme Julia et Winston, les héros d’Orwell, Aomamé et Tengo sont confrontés à des entreprises de lavage de cerveau. Comme eux, ils perdent le sens d’un temps linéaire marchant toujours dans le même sens. Dans le roman d’Orwell, le parti réécrit le passé en fonction des nécessités politiques et des alliances du moment. Dans celui de Murakami, Aomamé perd la mémoire d’événements qui se sont déroulés trois ans auparavant, alors qu’elle suit l’actualité avec attention. Elle voit deux lunes au firmament et le temps s’est comme fêlé. Pour nommer ce temps différent, elle le désigne par 1Q84.
Bien que tous deux du même âge, vivant l’un et l’autre à Tokyo, et ayant rompu avec leurs familles, rien ne semble rapprocher Aomamé et Tengo. Elle est professeur d’arts martiaux et exerce une activité cachée : faire passer de vie à trépas des hommes violents au moyen d’un pic à glace affilé, judicieusement planté dans leur cou. Il est professeur de mathématiques et romancier non publié à ses heures perdues. Elle s’offre des hommes pour des séances de sexe débridé, mais attend secrètement l’amour de sa vie, un petit garçon qu’elle a connu sur les bancs de l’école lorsqu’elle avait dix ans. Il est l’amant d’une femme mariée plus âgée que lui, car il a peur de s’engager dans une relation durable et tient avant tout à sa liberté.
Le livre alterne les chapitres consacrés à Aomamé et à Tengo. Progressivement, on voit s’esquisser une convergence. Tengo est chargé par son éditeur de réécrire le livre d’une jeune fille de 17 ans, Fukaéri. L’histoire qu’elle raconte est ténébreuse et captivante, mais il faut changer le style du tout au tout, sans altérer la substance. Fukaéri s’est échappée d’une secte dangereuse. Son roman, la Chrysalide de l’Air, peut donner des clés pour mettre au jour son fonctionnement hautement secret, et probablement criminel. Aomamé se lie à une vieille femme, qui lui présente une petite fille atrocement violée et mutilée. Elle aussi vient d’une secte, dont le gourou a droit de vie et de mort sur les adeptes, adultes et enfants. Il s’agit de liquider ce gourou avant qu’il commette d’autres crimes. A la fin du Livre 1, sans le savoir, Aomamé et Tengo sont sur la piste d’une seule et même secte, dangereuse et impitoyable : Les Précurseurs.
Le roman de Haruki Murakami est passionnant. La présentation de l’auteur par l’éditeur donne une idée de l’étendue de son univers intellectuel, qui nourrit son œuvre littéraire : « Né à Tokyo en 1949 et élevé à Kobe, Haruki Murakami a étudié la tragédie grecque à l’université, puis a dirigé un club de jazz, avant d’enseigner dans diverses universités aux Etats-Unis. En 1995, suite au tremblement de terre de Kobe et à l’attentat du métro de Tokyo, il décide de rentrer au Japon ». L’écrivain a aussi vécu en Italie et en Grèce. Et il adore les chats.
La chambre de Commerce Française en Grande Bretagne a organisé le 12 juin à la Résidence de l’Ambassadeur de France en Grande Bretagne un débat consacré aux différences culturelles dans les relations d’affaires franco-britanniques.
Un premier débat de ce type avait été organisé il y a deux ans. « Transhumances » en avait rendu compte le 25 septembre 2010 sous le titre « Britanniques et Français en affaires ». La structure du débat était la même : deux personnalités répondent aux questions de Peter Alfandary, vice-président de la Chambre et animateur de son forum interculturel, puis réagissent aux questions et contributions de l’assistance. Les deux invités, Sylvia Jay et Vincent de Rivaz, ont plusieurs points communs : ils sont tous deux détenteurs des plus grandes distinctions de la République et du Royaume, la légion d’honneur et «Commanders of the British Empire » (CBE) ; l’un et l’un et l’autre exercent des responsabilités dans deux entreprises françaises au Royaume Uni, L’Oréal et EDF ; ils ont l’un et l’autre vécu des deux côtés de la Manche. Elle est Anglaise, il est Français.
Peter Alfandary alerte contre le piège de la ressemblance. Beaucoup de choses rapprochent les Britanniques et les Français, particulièrement à l’heure de la mondialisation. Il ne faudrait toutefois pas minimiser les différences culturelles. Un britannique cadre supérieur d’une banque française raconte la mésaventure qui lui est arrivée lors d’une de ses premières réunions au siège de la banque à Paris. Il avait doucement répliqué à un collègue français : « je ne suis pas sûr d’être d’accord avec vous ! » A Londres, cela signifie « je suis radicalement hostile à votre proposition ». A Paris, on comprit qu’il l’approuvait tout à fait.
Les Français prennent parfois « l’understatement », la minimisation de ce que l’on formule, pour de l’hypocrisie. Il suffit pourtant de savoir décoder. Dire que l’on a un léger problème quand on est au bord de la catastrophe, que l’on trouve un plat intéressant lorsqu’il est exécrable ou qu’une décision est brave lorsqu’elle est inepte, n’est-ce pas plus élégant et moins offensant que d’appeler vulgairement un chat un chat ? Il est vrai que décoder n’est pas toujours évident. Vivre à l’étranger requiert de l’humilité : il ne faut pas hésiter à faire répéter ou à reformuler lorsqu’on a le sentiment de ne pas comprendre. La capacité des Anglais à demander et à offrir spontanément de l’aide est probablement une qualité les distingue des Français.
Lorsqu’un Anglais arrive en retard à une réunion, il cherche une place le plus discrètement possible ; un Français va faire le tour de la table pour saluer les participants. L’un et l’autre se veulent polis. Pour le premier, la politesse consiste à ne pas déranger ; pour le second, à ne pas omettre les salutations.
Certains comportements managériaux s’enracinent fortement dans l’éducation. Le système éducatif français sélectionne et promeut une élite et décourage impitoyablement les médiocres ; le système britannique cherche la réussite du plus grand nombre. Beaucoup d’entreprises françaises fonctionnent encore sur la culture du blâme et de la peur ; au contraire, c’est une culture d’encouragement qui prévaut au Royaume-Uni.
Y a-t-il plus d’égalitarisme dans la culture managériale au Royaume-Uni qu’en France ? On peut citer les considérables efforts consentis pour promouvoir la différence et éviter la discrimination par sexe, race ou âge. A Londres, nul ne se sent jugé de haut parce qu’il parle avec l’accent de Newcastle ou de Cardiff, voire de New Delhi. A Paris en revanche, on traitera avec condescendance quelqu’un qui s’exprime avec l’accent chti, marseillais ou antillais. Sans doute faudrait-il approfondir ce débat sur l’égalité. De nombreux sociologues notent que les différences culturelles de classes sont bien plus sensibles, dès la petite enfance, en Grande Bretagne qu’en France, pays où l’aristocratie se gagne au mérite, au sortir de l’adolescence, dans les grandes écoles.
On ne peut surestimer l’importance du verre de bière après 16h le vendredi. A la City, il ne s’agit pas seulement du vendredi d’ailleurs, mais de tous les jours à partir de 5 heures de l’après-midi, avec des dizaines de personnes massées sur les trottoirs de dizaines de pubs quel que soit le temps. On y trouve des assureurs, des banquiers, des brokers, des concurrents. On y parle de tout, de la famille, du sport et du business. Il s’y forme un véritable mercato, comme entre les clubs de football, où l’on identifie et débauche les talents. Le marché financier de Londres tire sa vitalité de cette promiscuité dans la bière et le vin blanc. C’est peut-être cela qui fait de la Grande-Bretagne une « trading nation », une nation commerçante. La culture du pub est bien différente de celle du repas d’affaires français. Le pub est ouvert et multidirectionnel. Le repas d’affaires est ciblé et instrumental. Le repas d’affaires est une affaire de raison ordonnée à un but. Le pub est un espace émotif ouvert. Il y a peut-être là une vraie différence culturelle dans le milieu des affaires entre la France et la Grande Bretagne.