L’héritage de Chávez

Le président – commandant vénézuélien Hugo Chávez, qui vient de disparaître à l’âge de 58 ans, laisse un héritage politique controversé.

 La disparition d’Hugo Chávez a causé une émotion considérable au Venezuela, en Amérique latine et dans certains milieux de gauche en Europe. « Le monde gagnerait à avoir plus de dictateurs comme lui », a déclaré Victorin Lurel, qui représentait la France aux obsèques et voyait en Chávez la combinaison de de Gaulle et Léon Blum. « Ce qu’est Chávez ne meurt jamais », a commenté Jean-Luc Mélenchon, invoquant « l’idéal inépuisable de l’espérance humaniste de la révolution » et exprimant la honte que lui inspiraient des commentaires formulés en France. Je crains que Mélenchon ait honte également de « transhumances » !

 The Guardian a publié en octobre 2012, dans le contexte de la campagne présidentielle au Venezuela, des statistiques montrant comment la Venezuela avait évolué entre 1999 et 2011.

 Le produit national brut par tête a bondi de 4.105 dollars à 10.801 dollars, en majeure partie grâce au quintuplement de la valeur des exportations de pétrole. La pauvreté a reculé : en 1999, 23.4% de la population était dans un état d’extrême pauvreté ; ils n’étaient plus que 8.5% en 2011. Le chômage est tombé de 14.5% à 7.6% de la population active. Le taux de mortalité infantile est tombé de 20‰ à 13‰.

 Moins de pauvreté, un meilleur accès à l’emploi, aux soins et à l’éducation représentent pour des millions de Vénézuéliens une chance historique inouïe. Pour eux, c’est l’accès à la dignité ; pour le pays, c’est l’émergence d’une force vive que la pauvreté mettait sous l’éteignoir.

 Le recul de la pauvreté a été acquis grâce à un massif effort de redistribution, opéré grâce à des programmes appelés « missions bolivariennes » dans tous les domaines qui touchent la vie des gens. Mais ce modèle n’est pas transposable à d’autres pays, car il repose uniquement sur l’appropriation étatique de la rente pétrolière, dans un pays qui dispose des plus grandes réserves prouvées au monde.

 Au Venezuela même, le modèle touche à ses limites. La redistribution massive génère une inflation de plus de 20% par an. Le déficit des finances publiques représente plus de 9% du PNB. L’état est lourdement endetté, notamment à l’égard de la Chine. Le taux de change de la devise nationale, le « bolivar fort », a été divisé par plus que 4 contre le dollar entre 1999 et 2011.

 La corruption est endémique. Le Venezuela est classé 172ième pays de majeure corruption perçue par l’indice Transparency International. La violence est chronique : le nombre de meurtres pour 100.000 habitants atteint 45, contre 25 en 1999 (environ 1,5 pour 100.000 habitants en France). L’état des infrastructures est désastreux, les sommes dédiées aux investissements étant fréquemment détournées.

 A ce stade, le chavisme n’a pas créé les conditions d’un développement durable de son pays. L’économie dépend de manière croissante des exportations de pétrole. L’industrie et l’agriculture n’ont pas gagné en compétitivité, et ont même régressé. Il faut bien reconnaître que le régime n’a pas encouragé les initiatives de la société civile et des milieux économiques. Son action a été très largement clientéliste et infantilisante. Les débordements d’émotion constatés lors des obsèques sont celles d’un enfant perdant son père. Chávez va être embaumé « pour l’éternité » comme l’avaient été Lénine et le « petit père des peuples », Staline, mort presque 60 ans jour pour jour avant le président vénézuélien. Hugo Chávez n’était pas léniniste et encore moins stalinien. Mais le culte du chef qu’il a poussé au paroxysme n’a pas favorisé le débat d’idées, l’analyse collective des faits et des chiffres, la proposition de projets qui caractérisent une société développée.

 La fascination de certains milieux de gauche idéalistes pour les révolutions castriste ou bolivarienne est émotionnelle plus que rationnelle. Redistribuer fortement la richesse est une exigence de dignité humaine et aussi de cohésion sociale. C’est ce qu’a compris le Brésil de Lula et de Rousseff. Mais la redistribution doit aller de pair avec la construction d’une économie solide et d’une société civile adulte.

Partisans d’Hugo Chavez se rendant à ses obsèques. Photo The Guardian

Le petit train de Lacanau

Fresque de l’Escoure, par Frédéric Hauselmann

Le livre de René Magnon, « Lacanau-Océan a cent ans, 1906 – 2006 » constitue une mine d’information sur l’histoire de cette station créée à partir de rien par de entrepreneurs visionnaires. Le chemin de fer y joua un rôle essentiel.

 L’une des premières illustrations du livre présente une carte du Médoc de 1604.  On y voit, en contrebas de la dune littorale ancienne et parallèle à la côte, « l’étang doux de Médoc de cinq lieues de long et une de large » (environ 22 km sur 4). Cet espace marécageux, de profondeur variable, inclut ce que sont aujourd’hui les lacs de Carcans – Hourtin et de Lacanau. Des paroisses le bordent. Certaines sont reconnaissables aujourd’hui : Carcans, Lacanau, Le Porge. Hourtin n’est pas mentionné. Taris, Talaris, Cartaignac ne sont plus maintenant que des lieux-dits.

 Jusqu’au dix-huitième siècle, c’était une zone de pâturages, où les troupeaux étaient veillés par des bergers souvent montés sur des échasses. La malaria, maladie des paluds (marécages), sévissait. A partir de 1817, l’Etat entreprit un gigantesque programme d’ensemencement de pins maritimes, dont l’objectif était de produire de la résine pour l’industrie chimique  et du bois, en particulier des poteaux pour l’industrie minière ; il était aussi de contribuer au bien-être de la population par l’assainissement et la création d’emplois.

 Lorsqu’en 1894 un propriétaire de Lacanau, Pierre Ortal, développa le projet de construire sur la dune une station touristique, le projet paraissait insensé. Certes, Soulac et Arcachon attiraient déjà des vacanciers, mais la première était proche de l’estuaire de la Gironde et la seconde sur le Bassin d’Arcachon, deux emplacements logiques. Lacanau n’était « nulle part ». On y accédait à dos de mules par des chemins forestiers. On construisit une ligne de chemin de fer de Lacanau à l’Océan, prolongeant ainsi les lignes qui reliaient déjà Lacanau à Bordeaux, Lesparre et Arès. Elle fut inaugurée en 1906 et ce fut le point de départ de la station. La route, quant à elle, ne fut ouverte que quatre ans plus tard.

 Le trajet de Bordeaux à Lacanau Océan par le petit train durait 3 heures. Le convoi se composait de voitures de première, seconde et troisième classes, d’un fourgon avec un compartiment aménagé pour le service de la poste et parfois un wagon à bestiaux, car durant les grandes vacances les chevaux suivaient leurs maîtres. En 1908 furent mises en service seize voitures aux jolies portières arrondies achetées au Metropolitan Railway de Londres. Chaque compartiment s’ouvrait par une porte donnant sur le quai.

 Le petit train de Lacanau dépérit peu à peu après la seconde guerre mondiale, supplanté par la route. La fin de l’exploitation fut décidée en 1961. L’emprise de la voie ferrée est maintenant occupée par une piste cyclable départementale qui va jusqu’à Bordeaux.

Adieu

Carte d'au-revoir, 12 octobre 2012

En cadeau d’adieu à l’occasion de mon départ du Royaume Uni pour l’Aquitaine, mes collègues britanniques m’ont offert une anthologie de la poésie anglaise. Ils y ont marqué leurs poèmes préférés. J’ai retenu, de William Blake (1757 – 1827), le poème Jerusalem, tiré de son recueil Milton.

 On trouve dans ce poème les thèmes et les images qui ont nourri la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques : une Angleterre de collines bucoliques, défigurée par les usines sataniques de la révolution industrielle ; le désir brûlant de construire Jérusalem dans la terre verte et plaisante de l’Angleterre, dans le ciel de laquelle les nuages de fumée s’écarteront pour le Chariot de feu.

 L’Angleterre ne reviendra pas au temps du paradis perdu, et largement fantasmé. Mais dans les contorsions de l’histoire, elle n’a cessé de se battre pour construire une cité meilleure, Jérusalem sur la terre.

 Jerusalem

 And did those feet in ancient time

Walk upon England’s mountains green?

And was the holy Lamb of God

On England’s pleasant pastures seen?

 

And did the Countenance Divine

Shine forth upon our clouded hills?

And was Jerusalem builded here

Among these dark Satanic Mills?

 

Bring me my bow of burning gold:

Bring me my Arrows of desire:

Bring me my Spear: O clouds unfold!

Bring me my Chariot of fire

 

I will not cease from Mental Fight,

Nor shall my Sword sleep in my hand

Till we have built Jerusalem

In England’s green & pleasant Land

 

Et ces pieds dans l’ancien temps, ont-ils marché sur les vertes montagnes d’Angleterre ? Et a-t-on vu le saint Agneau de Dieu sur les plaisants pâturages d’Angleterre ? Et la Majesté Divine a-t-elle brillé au-dessus de nos collines nuageuses. Et Jérusalem a-t-elle été construite ici parmi ces sombres Usines Sataniques ? Apportez-moi mon arc d’or brûlant, apportez-moi mes flèches de désir, apportez-moi ma lance : Ô nuages, déplie-vous ! Apportez-moi mon Chariot de feu. Je n’abandonnerai pas mon Combat Mental, et mon glaive de dormira pas dans ma main jusqu’à ce que nous ayons construit Jérusalem dans la Terre verte et plaisante d’Angleterre.

La Maison Rouge de William Morris

"Si je puis", devise de William Morris à Red House. Photo "transhumances".

Red House, à Bexleyhead, près de Greenwich au sud-est de Londres, est la maison de William Morris fit construire en 1859 – 1860 par son ami l’architecte Philip Webb.

 « Transhumances » a consacré une chronique au poète, décorateur et militant socialiste William Morris (1834 – 1896). Cet homme hors du commun a été aussi mentionné dans d’autres chroniques, comme la note de lecture de « la Carte et le Territoire » de Houellebecq et, plus récemment, l’exposition sur les Préraphaélites à la Tate Britain.

 Morris fit construire Red House après son mariage avec Jane Burden en 1859. Le bâtiment est typiquement préraphaélite par son style médiéval et l’importance donnée au jardin environnant. Bien que de vastes dimensions, il reste toutefois à taille humaine, et on comprend que William, Jane et leurs filles Jenny et May aient coulé là des jours heureux. Les Morris n’y restèrent que 5 ans. Des difficultés financières et le besoin d’être souvent à Londres pour des raisons de travail les amenèrent à se transférer au centre de la capitale.

 La maison était conçue comme un espace de création. Au premier étage, le studio était la salle la plus lumineuse. Mais toutes les pièces de la maison, les vitres, les plafonds, les meubles, étaient peints ou décorés.

 Le National Trust a acquis Red House il y a dix ans. Si la structure reste intacte, l’aménagement et la décoration ont été profondément altérés par 150 ans d’occupation par des familles étrangères à l’esthétique préraphaélite. Peu à peu les restaurateurs importent des pièces de mobilier et des œuvres d’art, mais il faudra encore de nombreuses années pour que le visiteur se sente dans l’ambiance des années 1860.

Red House. Photo "transhumances".