Hiroshige, l’art du voyage

La Pinacothèque de Paris présente jusqu’au 27 mars une remarquable exposition consacrée à l’artiste japonais Ando Hiroshige (1797 – 1858), dont l’œuvre a influencé de nombreux peintres occidentaux à la fin du dix-neuvième siècle.

 Visiter l’exposition requiert un effort : les estampes présentées sont de petite taille et sont peu éclairées. On ne trouve pas ici l’éblouissement ressenti en parcourant les salles lorsque les œuvres sont de grande taille. Ici l’espace est caverneux et il faut trouver une place dans la foule et se pencher sur chacune des pièces. Mais cela vaut la peine. La magie joue dès le premier moment.

 Les estampes d’Hiroshige dépeignent des paysages d’Edo (aujourd’hui Tokyo) ou des scènes observées sur les deux routes menant de Kyoto, la ville impériale, à Edo, la ville du gouvernement : Tôkaidô (1833 – 1834) et Kisokaidô (à partir de 1839). Les deux villes sont distantes d’environ 500km, et il fallait une vingtaine de jours pour effectuer le voyage. Des dizaines de relais marquaient ce parcours, où l’on trouvait des auberges, des boutiques, des temples. Les riches voyageaient à cheval et descendaient dans des hôtels de bon standing ; les pauvres marchaient à pied, s’achetaient chaque jour les sandales de paille qui leur permettraient de parcourir d’étape suivante et descendaient dans des auberges de bas niveau.

 Hiroshige tient de véritables carnets de voyage. Il décrit les voyageurs surpris par le vent ou par la pluie, les aubergistes essayant d’attirer les clients, des processions religieuses, les dîners pris à l’auberge, des voyageurs allumant leurs pipes. Le dessin est fin, précis, souvent drôle.

 Je me suis demandé ce qui rendait les estampes d’Hiroshige aussi immédiatement reconnaissables comme « japonaises ». Je crois que c’est le contraste entre le sujet du tableau, très minutieusement peint, et l’arrière plan, traité comme s’il s’agissait d’une surface plane sans aspérité, qui constitue leur marque de fabrique. Lorsqu’ils s’effacent devant un monument ou un groupe humain, mer, terre et ciel sont traités comme s’il n’existait pas de dénivelé, de vagues ou de nuages ; lorsqu’ils deviennent le sujet même de l’œuvre, ils sont décrits avec un luxe de détail.

 Hiroshige a profondément influencé les peintres européens de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, et la Pinacothèque présente en parallèle une exposition intitulée « Van Gogh, rêves de Japon ». Son œuvre reste, aujourd’hui encore, fascinante.

 A noter que le numéro hors-série de la revue Connaissance des Arts consacrée à « Hiroshige, l’art du voyage » est splendide.

Douces Arbouses

Pour le cycliste parcourant les dunes du littoral aquitain au début de l’automne, l’arbouse est une amie, jolie à regarder, fondante dans la bouche, nourrissante et rafraîchissante à la fois.

 Mes premières journées de préretraité à Maubuisson m’apportent un moment de plaisir chaque année espéré et répété. Par une fraîche matinée, je pars à bicyclette dans la pinède, pédalant seul sur les pistes sous le faible soleil d’automne. Au bord du chemin, enracinés dans le sable et isolés du ciel par la futaie, les arbousiers sont en fleurs et en fruits. Leurs petites feuilles vertes, un peu épaisses, sont dressées. Leurs fleurs pâles ressemblent à des cloches de muguet et regardent le sol. Les arbouses, de jaune pâle à rouge vif, pendent par grappes de deux ou trois. Elles semblent protégées par une coquille hérissée d’écailles fines, mais cette coquetterie laisse vite place au ravissement.

 Dans la bouche, le fruit se transforme en une fine pâte que les ignorants jugeront fade, mais qui s’installe doucement dans la nuance de cette saison d’humus qui invente son moment entre le sec et le gel. L’ours symbole de Madrid ne s’y est pas trompé : dressé sur ses pattes arrière, il déguste son fruit favori, l’arbouse !

Photo d’arbouses : « transhumances »

L’ours aux arbouses, symbole de Madrid. Photo www.jmrw.com

Bronze

Satyre dansant. Photo "The Independent"

C’est une remarquable exposition que présente la Royal Academy of Arts à Londres jusqu’au 9 décembre. Intitulée simplement « Bronze », elle montre des sculptures réalisées pendant trois mille ans dans ce métal.

 Le bronze est un alliage connu depuis l’antiquité, associant du cuivre et une moindre quantité d’étain ou, par extension, de zinc. Le bronze, dit le catalogue de l’exposition, est virtuellement indestructible, peut être moulé ou forgé dans presque n’importe quelle forme ou taille et peut prendre une extraordinaire variété de patines.

 L’exposition s’ouvre par une œuvre extraordinaire, découverte en 2008 par des pêcheurs au large de la Sicile : le satyre dansant, une œuvre datée de la seconde moitié du quatrième siècle avant Jésus-Christ. Le satyre semble défier la pesanteur ; les muscles de son corps, l’ondulation de ses cheveux sont rendus dans un incroyable détail. On reste saisi par cette merveille intemporelle, d’autant plus que l’éclairage, comme dans le reste de l’exposition, parvient à sublimer la beauté intrinsèque de l’objet.

 L’exposition est organisée par thèmes : personnages, animaux, groupes, objets, bas-reliefs, dieux et têtes. Le principe est de montrer des œuvres de différentes civilisations à des périodes différentes. On trouvera une statue étrusque et son pendant moderne sculpté par Giacometti ; l’extraordinaire groupe « Saint Jean Baptiste prêchant à un lévite et à pharisien » (1506 – 1511) fait écho à la massive statue d’un travailleur réalisée à la fin du dix-neuvième siècle par le socialiste français Aimé-Jules Dalou et s’oppose à la majesté sereine d’un personnage royal scarifié du Royaume d’Ifé. Des œuvres de Brancusi, Barbara Hepworth, Henri Matisse, Pablo Picasso trouvent leur correspondance dans des sculptures réalisées des millénaires avant eux, et contribuent ensemble à une sorte de symphonie de formes, de volumes, de reflets qui exaltent ce que l’être humain sait produire de plus beau.

 J’ai retrouvé avec émotion les objets rituels de la dynastie Chang, au second millénaire avant Jésus-Christ, que j’avais pu admirer au musée de Shanghai. J’ai été saisi par la similitude entre l’une des femmes pleurant le Christ dans un bas-relief de Donatello et le Guernica de Picasso. Et j’ai repensé à Mimmo D’Agostino, mon collègue pendant ma période milanaise : sa fierté calabraise s’exprimait une photo encadrée dans son bureau. Elle représentait un Hercule en bronze retrouvé, lui aussi, par des pêcheurs non loin de la côte.

Tête couronnée, Royaume d'Ifé, 14ième siècle

Milton’s Cottage

Milton's Cottage vu du jardin. Photo "transhumances".

L’essayiste et poète John Milton (1609 – 1874) fuit la peste qui ravageait Londres en 1855 et s’installa dans un cottage à Chalfont St Giles en 1865. Il se visite aujourd’hui, et un petit musée y est installé.

 J’avais involontairement choisi une photo aérienne de Chalfont St Giles pour illustrer un article de « transhumances » sur les banquets populaires qui, malgré la pluie, avaient marqué le Jubilée. En recherchant des idées de promenades cyclistes abordables de Watford, j’ai découvert que ce ravissant village n’est qu’à une quinzaine de kilomètres de chez moi. J’ai mis la bicyclette dans le métro jusqu’à Moor Park puis Chorleywood et ai pédalé jusqu’à Chalfont St Giles par de charmantes routes qui grimpent et dévalent aux flancs des collines des Chiltern.

 Les pièces de la maison sont petites, conformément aux règles d’une époque où on limitait la surface chauffée. Elles contiennent de nombreux souvenirs de Milton. Le jardin est cultivé d’herbes et de plantes mentionnées dans ses poèmes. S’y reposer en humant les effluves aromatiques est délicieux.

 John Milton est un témoin et un acteur de la révolution anglaise. On oublie souvent en France que, par son absolutisme, le roi Charles 1er s’attira l’hostilité d’un front qui incluait, pour reprendre la typologie de 1789, des nobles, des clercs et des bourgeois. Il finit décapité en 1649. Milton écrivit des pamphlets contre l’autocratie, pour la démocratie et en faveur d’évolutions législatives sur des sujets de société, comme le divorce.

 C’était un homme d’une énorme érudition, qui écrivait en anglais, en latin et en italien, mais dominait aussi le grec ancien, français, l’allemand et le néerlandais : en quelque sorte, un homme des Lumières, avec deux cents ans d’avance.

 Lorsque Milton s’installe à Chalfont St Giles, Oliver Cromwell est mort depuis 7 ans et la restauration monarchique a 5 ans. C’est alors un homme marginalisé et déçu par la défaites des idées pour lesquelles il avait combattu. Il reprend alors un immense poème épique commencé dans la décennie précédente : le Paradis Perdu. Il deviendra un texte fondateur de la langue et de la culture anglaise.

Le Paradis Perdu, première édition.