Les Préraphaélites à la Tate Britain

 

Isabella par John Everett Millais, 1848 - 1849

 

La Tate Britain présente jusqu’au 13 janvier 2013 une exposition intitulée : « Les Préraphaélites, avant-garde victorienne ».

 En 1848, la révolution industrielle transforme à toute vapeur la Grande Bretagne et l’Europe. Beaucoup d’argent circule, l’innovation technologique s’accélère, mais en même temps le prolétariat vit dans des conditions effroyables, la pollution s’étend, les villes grandissent et s’enlaidissent. En Europe souffle un vent de révolution. A Londres, l’année précédente, Marx et Engels rédigeaient le Manifeste du Parti Communiste.

 C’est dans ce monde à la recherche d’une boussole que trois jeunes artistes fondent la Fraternité des Préraphaélites : John Everett Millais (1829-96), Dante Gabriel Rossetti (1828-82) et William Holman Hunt (1827-1910). D’autres artistes leur seront très proches, tels Ford Madox Brown (1821-93), William Morris (1834-96) et Edward Burnes Jones (1833-98). Donner à leur mouvement le qualificatif d’avant-garde est pour le moins osé. Les préraphaélites sont en effet « réactionnaires » au sens premier du terme. Ils refusent la révolution industrielle avec son cortège de misère et de paysages dévastés. Ils veulent revenir avant le virage capitaliste de la Renaissance florentine. Ils ont la nostalgie d’un monde apaisé et lisible dans lequel la nature se donnait à voir sans artifice.

 Le premier tableau préraphaélite est Isabella, peint en 1848 – 1849 par Millais sur un poème de Keates, lui-même basé sur une histoire médiévale de Boccace. Les frères d’Isabella, à la gauche du tableau, découvrent son degré d’intimité avec Lorenzo, un employé de leur magasin. Ils assassineront Lorenzo. Guidée par un fantôme, Isabella découvrira son corps et conservera sa tête dans un pot de basilic. Tous les éléments du drame sont présents dans le tableau : Isabella accepte de Lorenzo le cadeau d’une demi-orange sanguine ; son frère casse une noix, symbole du drame qui se prépare. Tous les ingrédients du préraphaélisme sont présents dans ce tableau peint par un artiste d’à peine vingt ans : la nostalgie du Moyen-âge ;  le souci du détail, y compris historique ; la vérité dans l’expression des visages ; l’omniprésence des symboles ; l’utilisation de couleurs vives fortement contrastées. Sur le siège où est assise Isabella sont gravées les lettres PRB pour Pre-Raphaelite Brotherhood, Fraternité Préraphaélite.

 Un mérite de l’exposition est de s’attacher non seulement à l’onde de choc initiale de la Fraternité mais à l’ensemble de la carrière de ses protagonistes, non seulement dans la peinture mais aussi dans les arts décoratifs. C’est ainsi qu’une salle entière est consacrée aux tapisseries, meubles et livres d’art produits par William Morris et son entreprise. Dans son art comme dans ses convictions socialistes, Morris regardait plus vers le passé que vers l’avenir : il s’agissait de revenir à la pureté première et d’organiser un artisanat dont chaque ouvrier puisse être créateur. Quelques décennies plus tard, l’Art Nouveau embrassera au contraire la culturelle industrielle et cherchera à produire en masse de beaux objets qui puissent être accessibles au plus grand nombre.

"Paradis", la salle consacrée à William Morris dans l'exposition de la Tate

 A partir de 1860, les préraphaélites commencèrent à s’écarter de leur dessein d’origine et à rechercher la beauté pour elle-même. Le visage et le corps de la femme furent exaltés dans des toiles d’une puissante sensualité. Les modèles étaient des femmes aux traits peu conventionnels, Fanny Cornforth (dans Laus Veneris de Burnes-Jones et Lady Lilith de Rossetti), Jane Morris (dans Astarte Syriaca de Rossetti) ou Marie Spartali Stillman (dans a Vison of Fiametta, aussi de Rossetti).

 Je résiste à l’idée de qualifier les Préraphaélites d’avant-garde victorienne. Ils cherchèrent leur voie davantage dans un retour à un passé fantasmé que dans le futur. Mais ce faisant, ils produisirent des œuvres d’art d’une exceptionnelle beauté.

Beloved, par Dante Gabriel Rossetti, 1866 - 1867

Shakespeare : mettre le monde en scène

 

A Robben Island, Mandela annote "Jules César" de Shakespeare. Photo The Guardian

Le British Museum présente jusqu’au 25 novembre une exposition intitulée « Shakespeare ; Staging the world » (mettre le monde en scène).

 La pièce la plus émouvante de l’exposition est celle présentée aux visiteurs au moment de la quitter : un recueil des œuvres complètes de Shakespeare, introduite clandestinement à Robben Island. Les prisonniers avaient souligné le passage qu’ils préféraient. Nelson Mandela avait retenu le suivant, de la pièce Jules César : “Cowards die many times before their deaths/The valiant never taste of death but once.” Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort / le valeureux ne goûte la mort qu’une seule fois ».

 L’exposition a pour ambition de montrer les influences qui ont modelé la personnalité et l’œuvre de Shakespeare. Elle le fait à partir d’objets tels que des cartes géographiques, des tableaux, des sculptures, des accessoires de la vie quotidienne comme cet émouvant bonnet de laine obligatoirement porté par la plèbe ou des reliques, comme le reliquaire contenant la cornée d’un jésuite martyrisé.

 Elle évoque naturellement la vie bucolique de Stratford upon Avon et du Warwickshire, le comté d’origine du dramaturge. Mais c’est surtout Londres qui se trouve au centre de l’exposition, une ville qui comptait déjà 200.000 habitants, comprenant beaucoup d’immigrants (en particulier les protestants persécutés sur le Continent) et dotée d’un quartier, Southwark, où se pratiquait la prostitution, se montraient des ours attaqués par des chiens et se produisaient des spectacles avec une grande gamme de prix où l’on mangeait et l’on buvait. Londres devenait un port international important, au moment où Francis Drake entreprenait son tour du monde : que Shakespeare ait appelé son théâtre « The Globe » n’a rien de surprenant.

 L’actualité politique est sous-jacente à beaucoup de pièces de Shakespeare, sous le long règne d’Elizabeth I (1558 -1603) puis de James I (1603 – 1662). L’incertitude sur la succession dynastique, la guerre d’Irlande, les tentatives de coups d’Etat, la féroce répression des catholiques après le complot de Guy Fawkes, tout cela fournit un ample matériau aux pièces de Shakespeare, sous le déguisement du Moyen Age ou de l’antiquité romaine. L’intervention des sorcières dans Macbeth par exemple a elle-même une connotation historique : le roi James I était persuadé que la menace de naufrage qu’il avait vécu au cours d’un passage entre la Grande Bretagne et le Danemark était dû à un sort qu’on lui avait jeté.

 Dans plusieurs salles, des vidéos montrent des acteurs jouant des scènes de Shakespeare qui font écho aux influences que présentent les objets exposés. On comprend mieux, grâce à eux, comment l’art s’est élevé sur les épaules de l’histoire.

Portrait posthume de William Shakespeare