21 nuits avec Pattie

« 21 nuits avec Pattie », film d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, plonge le spectateur dans un univers étrange où l’énorme côtoie le subtil, un univers de forêt obscure, de fantôme et de nécrophile.

Caroline (Isabelle Carré) vient enterrer sa mère Isabelle décédée dans sa grande maison à la limite d’un petit village de moyenne montagne. À vrai dire, elle ne sait pas grand-chose d’elle, qui a mené une vie libertine et ne s’est jamais occupée de son éducation. Caroline est à l’opposé de « Zaza », nom donné à la défunte par ses nombreux amis. Elle a une vie bien rangée avec son mari Manuel (Sergi López) et ses deux petites filles ; une vie que la libido a désertée depuis longtemps. Continuer la lecture de « 21 nuits avec Pattie »

Wadjda

Le film de Haïfa Al-Mansour est source d’émerveillement.

 Avant l’émerveillement, il y a l’étonnement. Ce film est l’un des premiers tournés en Arabie Saoudite. Il a été réalisé par une femme. Il parle de la condition des femmes. Son tournage a été autorisé. La télévision saoudienne a promis de le diffuser sur ses antennes. En troisième semaine d’exploitation en France, il est encore projeté dans 120 salles.

 Le bouche à oreille fonctionne, et c’est tant mieux : Wadjda est un film merveilleux. Son titre est  le prénom d’une fille de 12 ans, dont on ne voit dans la première scène que les pieds : ils sont chaussés de baskets. Nous sommes à l’école : toutes les condisciples de Wadjda portent les chaussures grises règlementaires. Pas elle. Elle entend vivre sa vie de manière autonome.

 Proche de chez elle, dans la banlieue de Riyad, vit Abdallah, un jeune garçon qui en pince pour la jeune fille. Abdallah bat Wadjda à la course pour une bonne raison. Il possède une bicyclette, alors qu’il est réputé indécent pour une personne de l’autre sexe de chevaucher un deux roues. Wadjda voit passer derrière un mur une magnifique bicyclette. L’acquérir va devenir son but unique. Qu’il faille passer par un concours de récitation du Coran pour obtenir l’argent, peu importe. Wadjda est têtue et tous les moyens sont bons.

 L’histoire de Wadjda s’entremêle avec celle de sa maman qui, faute d’avoir engendré un garçon, va devoir subir l’arrivée d’une seconde épouse. Elle se mêle aussi à celle de la jolie et sévère directrice d’école, dont il se murmure qu’elle vit une aventure avec un gentil « voleur » qui la visite chez elle. Il est difficile pour les femmes de tracer leur chemin lorsque les traditions prétendent leur dicter les moindres actes de leur vie. Le film de Haïfa Al-Mansour est optimiste. La société saoudienne bouge, tout doucement certes, mais irrésistiblement, sous la pression de femmes courageuses qui vont de l’avant et ne se laissent pas museler.

 Il n’y a nulle caricature dans ce film. Les hommes ne sont pas catalogués dans le camp des méchants : Wadjda trouve par exemple un allié dans le marchand de bicyclette, qui accepte de réserver la machine convoitée à la petite fille obstinée qui la désire si fort. La récitation du Coran et la prière sont dignes et belles. Les relations entre la mère et sa fille, comme entre Wadjda et la directrice d’école, sont complexes, oscillant entre l’imposition d’une discipline dont le respect protège dans un certain sens la fillette, et l’admiration pour son courageux entêtement.

 Pour ne rien gâcher, le film a de l’humour. Lorsque Wadjda remporte le prix de récitation coranique, la directrice lui demande ce qu’elle fera des rials qu’elle a gagnés. La fillette annonce qu’elle va s’acheter une bicyclette, et provoque l’hilarité de ses camarades.

 « Wadjda » touche plusieurs de mes fibres : mon goût pour les films de femmes, mon intérêt pour la culture arabe et, naturellement, la bicyclette. Mais il est recommandable à tout spectateur, même s’il ne les partage pas : c’est un excellent film !

Lost in Yonkers

Le Palace Theatre de Watford vient de donner Lost in Yonkers, une pièce du dramaturge américain Neil Simon, dont la même scène avait programmé « Brighton Beach Memoirs » il y a deux ans.

 Le maître mot de la pièce est « acier ». Nous sommes en 1942, dans le quartier new-yorkais de Yonkers. Eddie, qui s’est endetté pour payer les frais d’hospitalisation de sa femme jusqu’à son récent décès du cancer, s’est vu proposer un job rémunérateur mais épuisant : acheter aux quatre coins des Etats Unis de la ferraille qui, recyclée, fournira l’industrie d’armement. Sa mère, Granma Kurnitz, a connu une enfance difficile, la fuite du nazisme, l’émigration aux Etats-Unis, la perte de deux de ses six enfants. Elle a fermé hermétiquement son cœur et érigé la dureté de l’acier en règle de comportement.

Ses quatre enfants survivants ne sont pas sortis indemnes d’une école de la vie où l’on n’a pas le droit de se plaindre ni de pleurer ni de toucher. Eddie manque d’auto-estime. Luie fréquente la pègre. Gert est affligée d’un asthme chronique qui l’empêche de finir ses phrases et dont l’origine est toute psychologique. Et puis il y a Bella, trente-cinq ans, simplette, souvent à côté de la plaque mais incroyablement gentille et possédée par le désir d’une vie normale avec un mari aimant et beaucoup d’enfants.

 Lorsqu’Eddie supplie Granma de garder ses deux garçons adolescents, Jay et Arty, pendant dix mois, le temps qu’il parte à la recherche de l’acier et rembourse ses dettes, sa mère a la réaction qu’on attend d’elle : pas question de se laisser attendrir ni d’admettre dans sa vie « Yakob » et « Arthur » qui ne peuvent apporter que bruit, saleté et nuisances. Mais Bella exerce un chantage. Elle ne restera auprès de sa mère que si les deux garçons partagent leur vie. Elle révèle ainsi la faiblesse de Granma : la perspective de vivre seule la terrorise. L’acier se fissure.

 Les critiques de la pièce se focalisent pour la plupart sur le personnage de Jay, adolescent pris entre le désir de servir le projet de son père et son aversion pour sa grand-mère. Selon moi, le personnage central de la pièce est Bella, que la méchanceté de sa mère et l’échec de sa vie sentimentale ne semblent pas altérer. Naïvement elle croit qu’elle et les siens peuvent devenir libres. Elle se cogne contre les murs et se brûle les ailes. Mais elle a raison.