Agnosticisme

 

Reconstitution de la Passion du Christ à Chimayo, Nouveau Mexique. Photo « The Guardian »

Dans The Guardian du 29 mars, jour de la célébration par les Chrétiens du Vendredi Saint, l’écrivaine britannique Roz Kaveney expliquait sa position d’agnostique.

 « Comme beaucoup de non-croyants, je me rappelle la foi, et pas seulement le Vendredi Saint. Je me souviens de l’agréable marmonnement de la liturgie, l’odeur de talc ou la transpiration alcoolisée de la personne agenouillée à côté de moi, le poids que l’absolution retirait et le goût crayeux de rédemption sur ma langue. Je me rappelle du délice hébété des méditations sur l’éternité – jusqu’à ce qu’un jour il devint plus simple et plus clair de ne pas croire en des choses parce qu’elles étaient impossibles, mais d’accepter simplement qu’elles étaient de l’embrouille intellectuelle. Ce n’étaient pas seulement mes propres luttes avec la sexualité et mon identité de femme – c’était la souffrance que je voyais les dogmes religieux infliger partout. La foi était en train de briser mon cœur, mais la foi se brisa d’abord. »

 Les contradictions entre les convictions éthiques des croyants et leurs comportements ne suffisent pas à disqualifier la foi, pas plus que les horreurs perpétrées par le fanatisme religieux. Pour Roz Kaveney, la difficulté réside dans le concept même de texte révélé. Qu’un texte écrit à un moment historique et dans un contexte social déterminés, dans un langage souvent poétique avec une claire intention poétique, puisse être la déclaration infaillible de l’esprit d’un dieu éternel représente un saut de foi trop grand pour beaucoup de gens.

 L’auteur appelle à une position modeste. Il faut accepter l’incertitude : nous ne disposons pas, et ne disposerons jamais, d’un langage adéquat pour parler de la transcendance. Il nous faut vivre généreusement avec les autres et créer du beau comme si des choses meilleures étaient vraies. C’est ce qu’on appelle agnosticisme.

Confession d’un Cardinal

Le livre « Confession d’un Cardinal » d’Olivier Le Gendre (JC Lattès 2007) est présenté par l’éditeur comme celui dont toute l’Eglise parle.

 Peu après le Conclave qui élit Ratzinger comme pape sous le nom de Benoît XVI, un Cardinal demande à l’écrivain catholique Olivier Le Gendre de l’aider à écrire ses mémoires. Octogénaire, il sait son temps de vie limité ; retraité de la Curie, il s’inquiète et se désole du réflexe de peur qui a conduit à la récente élection et entend proposer une perspective positive à l’Eglise Catholique.

 Le livre est construit autour de trois lieux. Au Vatican et dans le quartier du Trastevere, le Cardinal évoque le récent Conclave et explique comment les Cardinaux, pris de vertige par la disparition d’un pape de l’envergure de Jean-Paul II , se sont ralliés à celui qui avait été son plus proche collaborateur. Il regrette qu’ait été élu un théologien plutôt qu’un homme de terrain, un européen plutôt qu’un évêque du monde émergent, un homme âgé plutôt que dans la force de l’âge.

 L’horreur du génocide rwandais

 La seconde série d’entretiens se déroule dans la maison de famille de Le Gendre près d’Avignon. La Cité des Papes se prête bien à l’exercice auquel se livre le Cardinal : une analyse sans complaisance de l’histoire de l’Eglise. Le jugement se fait de plus en plus critique à mesure que l’on se rapproche du temps présent. Le Cardinal s’afflige du divorce croissant entre l’Eglise et ce qu’il nomme le monde, et encore plus d’une tendance dans l’Eglise à considérer que dans cette séparation, les torts sont du côté du monde, sujet «à la dictature du relativisme ». S’il évoque, naturellement, le scandale des prêtres pédophiles, les plus belles et plus terribles pages de son réquisitoire sont consacrées au Rwanda. Ce pays « constituait, pensions-nous, un exemple de la réussite de l’évangélisation en Afrique. Des fidèles actifs, des religieuses du pays en grand nombre, un clergé local formé, de nombreuses institutions charitables, des écoles… Un modèle de greffe réussie de la foi chrétienne dans un pays récemment évangélisé. Survint le génocide. » « Six millions de juifs sont morts durant la période noire de la seconde guerre mondiale, en l’espace de plusieurs années, donc, avec des moyens techniques très élaborés. Un million de Rwandais ont été massacrés en moins de cent jours, ce qui suppose, quand vous prenez conscience de ce qui se cache derrière les chiffres, une action collective de tout un peuple contre une ethnie voisine. Cent jours où, tous les matins, des hommes des campagnes et des villes se levaient pour aller chasser leurs anciens voisins tutsis comme ils se levaient quelques jours encore auparavant pour aller cultiver leur terre. Cent jours pour massacrer dans des conditions atroces un million de personnes, entre voisins. Il n’y a pas d’autres événements comparables dans l’Histoire de l’humanité, parce que justement il n’y avait plus d’humanité dans les collines durant ces cent jours ».La sœur du Cardinal était religieuse au Rwanda pendant les massacres. Les témoignages recueillis sont bouleversants. Ils semblent sanctionner l’incapacité du Christianisme à générer, là où il exerce une réelle influence, une société fraternelle fondée sur les principes évangéliques.

 Humaniser la mondialisation marchande

 La troisième scène du livre est un pays du sud-est asiatique dans lequel l’influence de l’Eglise Catholique est négligeable. Elle gère toutefois des institutions qui accueillent des victimes des changements brutaux qui traversent la société : enfants prostitués, sidéens, handicapés, tous rejetés par leurs familles. C’est là que le Cardinal a choisi de vivre le reste de sa vie. Il plaide pour une foi qui se révèle dans la brise légère de la compassion plus que dans les proclamations tonitruantes. Ici aussi, le livre nous offre des témoignages de première main, beaux dans leur simplicité. Le Cardinal élabore à partir d’eux une proposition pour l’Eglise. Elle doit témoigner de la tendresse de Dieu dans un monde bouleversé par un phénomène irréversible, la mondialisation, qui crée de la richesse, multiplie les opportunités, suscite la rencontre des peuples et des cultures ; mais phénomène aussi qui relègue un nombre croissant de personnes sur les marges et broie les plus faibles. « Notre Eglise est la seule puissance spirituelle centralisée mondiale. Plutôt que de se tourner vers la restauration de son passé soi-disant glorieux, elle est appelée à jouer un rôle prépondérant pour tenter de proposer avec d’autres une alternative à la mondialisation marchande. Cette alternative consiste à humaniser une mondialisation qui déshumanise à tour de bras. »

 La Confession d’un Cardinal stimule la réflexion mais génère aussi des frustrations. La plus apparente se résume en une question : pourquoi le Cardinal avance-t-il masqué ? Il y a dans le livre des faits et des dates qui semblent écarter l’idée que le livre de Le Gendre soit une pure fiction, mais un doute subsiste. Et si le Cardinal existe, si sa Confession est authentique, si c’est un prélat reconnu par ses pairs, pourquoi ne se nomme-t-il pas ?

 Une seconde frustration dérive de la première. Hormis une longue histoire partagée, celle de dizaine d’années à la Curie et celle de siècles de papauté, le Cardinal a-t-il encore les mêmes valeurs que les Cardinaux qui, à la suite de Pie IX, Pie XII et Jean-Paul II se battent pied à pied contre le monde moderne et pour sauvegarder ce qui peut l’être de la chrétienté ?

 Plus profondément, c’est le noyau de la foi chrétienne qui est en cause. Il est incontestable que l’image d’un Dieu silencieusement présent aux côtés de l’humanité souffrante fait partie du patrimoine spirituel chrétien. Mais le noyau dur du christianisme est l’incarnation de Dieu, une fois pour toutes, dans un homme déterminé à un moment précis de l’histoire. Comment le Cardinal rend-il compte de cela ? S’agit-il d’un récit de nature épique ou poétique, ou bien d’une Vérité révélée ? Dans le deuxième cas, comment éviter que l’Eglise s’arroge la position de supériorité de celui qui dispose de la totalité des moyens du salut ? Peut-elle se placer humblement au même rang que d’autres dans l’immense tâche d’humanisation de la mondialisation marchande ?

 Olivier Le Gendre a publié un second livre : « l’Espérance du Cardinal ». Peut-être propose-t-il une réponse à ces interrogations ?