Confession d’un Cardinal

Le livre « Confession d’un Cardinal » d’Olivier Le Gendre (JC Lattès 2007) est présenté par l’éditeur comme celui dont toute l’Eglise parle.

 Peu après le Conclave qui élit Ratzinger comme pape sous le nom de Benoît XVI, un Cardinal demande à l’écrivain catholique Olivier Le Gendre de l’aider à écrire ses mémoires. Octogénaire, il sait son temps de vie limité ; retraité de la Curie, il s’inquiète et se désole du réflexe de peur qui a conduit à la récente élection et entend proposer une perspective positive à l’Eglise Catholique.

 Le livre est construit autour de trois lieux. Au Vatican et dans le quartier du Trastevere, le Cardinal évoque le récent Conclave et explique comment les Cardinaux, pris de vertige par la disparition d’un pape de l’envergure de Jean-Paul II , se sont ralliés à celui qui avait été son plus proche collaborateur. Il regrette qu’ait été élu un théologien plutôt qu’un homme de terrain, un européen plutôt qu’un évêque du monde émergent, un homme âgé plutôt que dans la force de l’âge.

 L’horreur du génocide rwandais

 La seconde série d’entretiens se déroule dans la maison de famille de Le Gendre près d’Avignon. La Cité des Papes se prête bien à l’exercice auquel se livre le Cardinal : une analyse sans complaisance de l’histoire de l’Eglise. Le jugement se fait de plus en plus critique à mesure que l’on se rapproche du temps présent. Le Cardinal s’afflige du divorce croissant entre l’Eglise et ce qu’il nomme le monde, et encore plus d’une tendance dans l’Eglise à considérer que dans cette séparation, les torts sont du côté du monde, sujet «à la dictature du relativisme ». S’il évoque, naturellement, le scandale des prêtres pédophiles, les plus belles et plus terribles pages de son réquisitoire sont consacrées au Rwanda. Ce pays « constituait, pensions-nous, un exemple de la réussite de l’évangélisation en Afrique. Des fidèles actifs, des religieuses du pays en grand nombre, un clergé local formé, de nombreuses institutions charitables, des écoles… Un modèle de greffe réussie de la foi chrétienne dans un pays récemment évangélisé. Survint le génocide. » « Six millions de juifs sont morts durant la période noire de la seconde guerre mondiale, en l’espace de plusieurs années, donc, avec des moyens techniques très élaborés. Un million de Rwandais ont été massacrés en moins de cent jours, ce qui suppose, quand vous prenez conscience de ce qui se cache derrière les chiffres, une action collective de tout un peuple contre une ethnie voisine. Cent jours où, tous les matins, des hommes des campagnes et des villes se levaient pour aller chasser leurs anciens voisins tutsis comme ils se levaient quelques jours encore auparavant pour aller cultiver leur terre. Cent jours pour massacrer dans des conditions atroces un million de personnes, entre voisins. Il n’y a pas d’autres événements comparables dans l’Histoire de l’humanité, parce que justement il n’y avait plus d’humanité dans les collines durant ces cent jours ».La sœur du Cardinal était religieuse au Rwanda pendant les massacres. Les témoignages recueillis sont bouleversants. Ils semblent sanctionner l’incapacité du Christianisme à générer, là où il exerce une réelle influence, une société fraternelle fondée sur les principes évangéliques.

 Humaniser la mondialisation marchande

 La troisième scène du livre est un pays du sud-est asiatique dans lequel l’influence de l’Eglise Catholique est négligeable. Elle gère toutefois des institutions qui accueillent des victimes des changements brutaux qui traversent la société : enfants prostitués, sidéens, handicapés, tous rejetés par leurs familles. C’est là que le Cardinal a choisi de vivre le reste de sa vie. Il plaide pour une foi qui se révèle dans la brise légère de la compassion plus que dans les proclamations tonitruantes. Ici aussi, le livre nous offre des témoignages de première main, beaux dans leur simplicité. Le Cardinal élabore à partir d’eux une proposition pour l’Eglise. Elle doit témoigner de la tendresse de Dieu dans un monde bouleversé par un phénomène irréversible, la mondialisation, qui crée de la richesse, multiplie les opportunités, suscite la rencontre des peuples et des cultures ; mais phénomène aussi qui relègue un nombre croissant de personnes sur les marges et broie les plus faibles. « Notre Eglise est la seule puissance spirituelle centralisée mondiale. Plutôt que de se tourner vers la restauration de son passé soi-disant glorieux, elle est appelée à jouer un rôle prépondérant pour tenter de proposer avec d’autres une alternative à la mondialisation marchande. Cette alternative consiste à humaniser une mondialisation qui déshumanise à tour de bras. »

 La Confession d’un Cardinal stimule la réflexion mais génère aussi des frustrations. La plus apparente se résume en une question : pourquoi le Cardinal avance-t-il masqué ? Il y a dans le livre des faits et des dates qui semblent écarter l’idée que le livre de Le Gendre soit une pure fiction, mais un doute subsiste. Et si le Cardinal existe, si sa Confession est authentique, si c’est un prélat reconnu par ses pairs, pourquoi ne se nomme-t-il pas ?

 Une seconde frustration dérive de la première. Hormis une longue histoire partagée, celle de dizaine d’années à la Curie et celle de siècles de papauté, le Cardinal a-t-il encore les mêmes valeurs que les Cardinaux qui, à la suite de Pie IX, Pie XII et Jean-Paul II se battent pied à pied contre le monde moderne et pour sauvegarder ce qui peut l’être de la chrétienté ?

 Plus profondément, c’est le noyau de la foi chrétienne qui est en cause. Il est incontestable que l’image d’un Dieu silencieusement présent aux côtés de l’humanité souffrante fait partie du patrimoine spirituel chrétien. Mais le noyau dur du christianisme est l’incarnation de Dieu, une fois pour toutes, dans un homme déterminé à un moment précis de l’histoire. Comment le Cardinal rend-il compte de cela ? S’agit-il d’un récit de nature épique ou poétique, ou bien d’une Vérité révélée ? Dans le deuxième cas, comment éviter que l’Eglise s’arroge la position de supériorité de celui qui dispose de la totalité des moyens du salut ? Peut-elle se placer humblement au même rang que d’autres dans l’immense tâche d’humanisation de la mondialisation marchande ?

 Olivier Le Gendre a publié un second livre : « l’Espérance du Cardinal ». Peut-être propose-t-il une réponse à ces interrogations ?

Hope Springs

Dans Hope Springs, film de David Frankel (2012), Meryl Streep et Tommy Lee Jones jouent un couple que les années et les habitudes ont vidé de désir.

 Le film sortira en France sous le titre « tous les espoirs sont permis ». Ce titre nous fait perdre le jeu de mots en anglais : Hope Springs est la villégiature du Maine où officie le Docteur Bernard Feld, un thérapeute familial ; Hope Springs se traduit aussi par « sources d’espoir ». Dans le couple formé par Kay (Meryl Streep) et Arnold (Tommy Lee Jones), l’espoir est porté par Kay. Elle ne se résout pas à ce que, les enfants partis et le temps de la retraite approchant, son mariage avec Arnold soit devenu une coquille vide. La nuit, ils font chambre à part. Au petit matin, elle lui prépare son petit déjeuner qu’il consomme en lisant le journal, sans un mot ni un regard. Cette routine glaciale est devenue insupportable à Kay. Elle prend les moyens d’en sortir. Kay prend une inscription à une semaine intensive de thérapie de couple.

 Sa résolution est si forte que malgré son aversion pour ce qui pourrait le sortir de sa petite vie de comptable, Arnold finit par céder. Les voici tous deux, faisant face au Docteur Bernard Feld (Steve Carell). Le thérapeute les incite à se raconter, les oblige à se dévoiler, à achever les phrases interrompues, à mettre des mots sur leur relation intime, sur leurs corps, sur leurs sexes. Il leur donne des exercices à pratiquer le soir pour dépasser leurs inhibitions et se redécouvrir l’un l’autre charnellement. Dans la tempête, Arnold se cabre, se plie, tourne comme une toupie. Kay elle-même est déstabilisée. La thérapie va-t-elle déboucher sur l’implosion des protagonistes et la destruction de leur mariage ?

 Le film parvient à tempérer un huis-clos parfois oppressant par une bonne dose d’humour. Le trio d’acteurs est exceptionnel. Arnold et Kay sont inexorablement pris au piège du jeu dont Feld fixe les règles ; Feld est clairement le manipulateur qui crée les situations dont ses patients sont l’objet, mais on le sent conscient de jouer à la limite du supportable, avec le risque de tout perdre.

Le Havre

 

Blondin Miguel et André Wilms dans "Le Havre"

Le film « Le Havre » du réalisateur finlandais Aki Kaurismäki (2011) sort actuellement sur les écrans londoniens.

 Londres est présent en filigrane dans tout le film : c’est la destination que s’était fixé un groupe d’immigrants d’Afrique noire interceptés dans un conteneur par la police sur le port du Havre. Mais un adolescent, Idrissa (Blondin Miguel), parvient à s’enfuir. Il trouve refuge auprès de Marcel (André Wilms), un homme maintenant âgé qui a abandonné la vie d’écrivain bohême pour vivre auprès de sa femme Arletty (Kati Outinen) dans le dénuement mais entouré de gens qui l’aiment. Marcel, confronté à l’épreuve de l’hospitalisation d’Arletty, mobilise ses amis pour un objectif : permettre à Idrissa de rejoindre sa mère de l’autre côté de la Manche.

 C’est un film vraiment étrange, que beaucoup de critiques ont adoré et beaucoup de spectateurs détesté. L’anachronisme y est constant : les cargos dans le port du Havre sont des porte-conteneurs et les fourgons des policiers sont flambant neufs. Mais les voitures sont des Peugeot 403 et des Renault 16 ; les boutiques et le bistrot appartiennent aux années cinquante ; le nom de la chienne de Marcel, Laika, fleure bon l’aventure spatiale soviétique. Le nom de l’épouse de Marcel, Arletty, est tout droit sorti du Paris de l’entre-deux guerres. La silhouette du Commissaire Monet (Jean-Pierre Daroussin) et celle du dénonciateur (Jean-Pierre Léaud) évoquent la France de Vichy.

 La manière de parler et de se comporter des personnages est empruntée et théâtrale comme dans un film de Truffaut, auquel la présence de Jean-Pierre Léaud constitue un clair hommage. L’étrangeté de leur parler est renforcée par la présence d’acteurs non français, en particulier Kati Outinen.

 Si le style est décalé, le sujet du film est au contraire central dans la société française d’aujourd’hui : de la Jungle de Calais aux docks du Havre, nombreux sont les migrants fascinés par le mirage d’un avenir en Angleterre. Le film de Kaurismäki est dérangeant et inconfortable : c’est peut-être ainsi que le metteur en scène vise juste. Il jette le trouble chez le spectateur, car ce qu’il y a à voir est troublant.