Il y a cinq ans, le Rapport Attali

Jacques Attali reçu à l’Elysée en janvier 2008.

Il y a cinq ans, la Commission pour la libération de la croissance française, présidée par Jacques Attali, soumettait un ensemble d’ambitieuses réformes au président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy.

 La Commission proposait 316 « décisions » dont la mise en œuvre permettrait à la France d’enrayer son déclin relatif et de retrouver le chemin de la croissance. Un aspect intéressant du rapport est qu’il décrivait un tableau de bord permettant d’évaluer le succès des actions entreprises :

 « La mise en œuvre de l’ensemble de ces réformes à partir d’avril 2008 permettra, si l’environnement économique international ne se dégrade pas, d’atteindre les objectifs suivants à la fin 2012 :

• Une croissance potentielle d’un point plus élevée qu’aujourd’hui

• Un taux de chômage ramené de 7,9 % à 5 %, c’est-à-dire le plein emploi

• Plus de 2 millions de logements de plus construits et au moins autant de rénovés

• Le chômage des jeunes divisé par trois

• Le nombre de Français sous le seuil de pauvreté ramené de 7 à 3 millions

• Plus de 10 % des élus à la prochaine Assemblée nationale issus de la diversité

• L’écart de l’espérance de vie entre les plus favorisés et les plus défavorisés réduit d’un an

• Plus de 10 000 entreprises créées dans les quartiers et les banlieues

• Un senior sur deux au travail au moment de prendre la retraite, au lieu d’un sur trois aujourd’hui

• Un taux d’encadrement dans l’enseignement supérieur identique en premier cycle à celui des classes préparatoires

• 100 % des Français ayant accès à l’ADSL et à la large bande, et 75 % des Français utilisateurs réguliers d’Internet

• Une dette publique réduite à 55 % du PIB

• Une fréquentation touristique annuelle atteignant plus de 90 millions de visiteurs annuels. »

 Deux ans et demi plus tard, en 2010, la Commission présentait un second rapport, intitulé « une ambition pour dix ans, un projet pour la France, une mobilisation générale pour libérer la croissance et donner un avenir aux générations futures ». Le contexte politique avait changé : à l’ouverture succédait la droitisation du pouvoir. Et surtout, la phrase « si l’environnement international ne se dégrade pas » s’était avérée prémonitoire : le monde, l’Europe et la France avaient été emportés dans la tourmente financière. Mais alors que l’Allemagne et des pays émergents avaient rebondi, la France était saisie de langueur.

 En un sens, le rapport Attali constituait un déni de la politique. Parlant au nom des générations futures, il dictait aux politiques les décisions qu’ils devraient prendre. Or, comme l’élection de 2012 allait le rappeler, il appartient aux politiques de proposer un programme sur lesquels les électeurs se prononcent. Dans ce sens, le rapport Attali a partie liée avec l’hyper-présidence des premières années Sarkozy, lorsque droite et gauche étaient censées s’effacer devant une politique inévitable et consensuelle, celle définie par le président. Ecrit sous la présidence de François Hollande, le rapport Gallois sur l’industrie française est plus modeste, mais peut-être aussi plus efficace, que celui de la Commission pour la libération de la croissance française.

 Il reste que la lecture des analyses et des recommandations faites par la Commission Attali en 2008 et 2010 reste éclairante et stimulante aujourd’hui. Et le tableau de bord qu’il proposait peut encore aujourd’hui servir d’aune aux ambitions des politiques mises en œuvre.

Les élites déconnectées

 

Dessin de Miguel Davila illustrant l’article de Mike Lofgren dans The American Conservative

 

Dans The Guardian du 28 janvier, George Monbiot explique que l’élite qui nous dirige est de plus en plus déconnectée des citoyens.

 Le journaliste explique qu’il a lui-même reçu une éducation totalement étrangère à la réalité à laquelle elle était censée préparer collégiens et étudiants. Lorsque la distorsion devient manifeste, il y a deux voies possibles : réviser son savoir, ses croyances et son jugement à l’épreuve des faits ; ou bien, comme les Républicains américains des années Bush, tenter de plier le monde à la forme qu’il prend dans son esprit.

 Monbiot cite Hannah Arendt dans « les origines du totalitarisme ». Elle expliquait que les nobles de la France prérévolutionnaire « ne se considéraient pas eux-mêmes comme des représentants de la nation mais comme une caste dirigeante qui avait bien plus de choses en commun avec des étrangers de la même classe sociale et de la même condition qu’avec leurs compatriotes. ».

 Il cite aussi un article écrit par le Républicain Mike Lofgren dans The American Conservative en septembre 2012. Lofgren soutient que les super-riches et ceux qui les entourent, les conseillent et gèrent leurs affaires ont fait sécession de l’Amérique. « Les riches élites du pays ont bien plus en commun avec leurs contreparties à Londres, Paris et Tokyo qu’avec leurs concitoyens américains… Les riches se déconnectent de la vie civique de la nation et de toute préoccupation sur son bien-être, si ce n’est un endroit à piller. Notre ploutocratie vit maintenant comme les Britanniques dans l’Inde coloniale : dans  le territoire et le gouvernant, mais non partie prenante du territoire ».

 Le journaliste décrit les symptômes de cette sécession, tels que les éclats de rire des ministres au Parlement britannique à propos de mesures qui mutilent les vies des plus pauvres du pays. « Beaucoup de ceux qui nous gouvernent, dit Monbiot, n’appartiennent pas à ici dans leur cœur. Ils appartiennent à une culture différente, à un monde différent qui en sait aussi peu sur ses propres actes que sur leurs conséquences sur ceux qui les subissent ».

Comprendre les Eurosceptiques Britanniques

L’Europe à hue et à dia. Dessin de Matt Kenyon pour The Guardian

Le discours de David Cameron annonçant un référendum sur l’adhésion de la Grande Bretagne à l’Union Européenne si les Conservateurs sont réélus en 2015 a suscité en France des réactions épidermiques et presque toutes négatives. Comme toujours, il est salutaire d’aller au-delà des préjugés.

 Je suis euro-enthousiaste et si j’avais le droit de vote en Grande Bretagne je ne soutiendrais pas les Tories. Pourtant, il me semble que la position développée par David Cameron sur l’Europe mérite qu’on fasse l’effort de chercher à comprendre.

 La réaction que j’entends le plus en France est : « comme d’habitude, les Anglais ne prennent en compte que leurs intérêts propres et veulent choisir dans l’Europe ce qui leur convient au détriment de tout le reste ». En anglais, cela se dit « faire du cherry picking », se servir seulement de la cerise sur le gâteau. Mais des commentateurs britanniques soulignent que l’Europe s’est souvent construite sur des foires d’empoigne où dominaient les intérêts particuliers des nations. Que l’on pense à la politique agricole commune, si âprement défendue par les gouvernements français malgré ses désastreuses conséquences écologiques. Ce n’est pas du « cherry picking », dit par exemple Simon Jenkins dans The Guardian, c’est carrément du « water melon picking » (du ramassage de pastèques) !

 La Grande Bretagne est dans l’Europe

 On entend dire aussi que les Britanniques reviennent à leurs démons insulaires. Mais ce n’est pas le cas. A Watford, le fournisseur d’électricité de notre appartement était EDF Energy ; à Londres, il m’arrivait de monter dans un bus à impériale appartenant à une filiale de la RATP. Dans le cadre d’un traité de défense liant la Grande Bretagne à la France pour 50 ans, la Grande Bretagne a accepté que le développement de sa bombe atomique se fasse dans un laboratoire français. Plusieurs des nouvelles centrales nucléaires britanniques seront gérées par EDF. Imagine-t-on la réciproque en France ? En vérité, sous de nombreux aspects la Grande Bretagne est bien plus intégrée à l’Europe que la France n’accepte de l’être.

 Ecoutons donc le discours des eurosceptiques d’Outre Manche, relayé avec talent par David Cameron. Leur critique fondamentale ne nous est pas étrangère : l’Union Européenne souffre d’un profond déficit démocratique. Instruits par l’échec du référendum sur la Constitution Européenne, les dirigeants évitent de consulter les citoyens. Le traité de Lisbonne, l’accroissement du rôle de la Banque Centrale Européenne, le pacte fiscal ont tous été décidés par les dirigeants politiques en vertu du mandat général qu’ils ont reçu de diriger leur pays.

 Un déficit démocratique

David Cameron constate que les citoyens britanniques n’ont pas voté pour une Europe avançant à marches forcées vers une plus grande intégration. Il ne conteste pas que certains pays puissent décider de constituer un bloc plus soudé sur les plans monétaire, budgétaire et politique, mais il revendique le droit pour son pays d’en rester à ce pour quoi les citoyens ont voté : le marché commun.

 Ce qui sous-tend cette position, c’est naturellement une réaction nationaliste : ne pas être entraîné par des enchainements mécaniques là où la nation n’a pas décidé d’aller. Mais c’est aussi plus profondément une approche pragmatique des relations internationales. Les Britanniques se méfient de l’idéologie. Ils recherchent en permanence, de manière empirique, les solutions qui marchent le mieux. Ils constatent, peut-être à courte vue, que l’Euro est en crise, et pensent qu’ils ont eu raison de ne pas rejoindre la monnaie unique. Ils sont devenus encore plus réticents à l’idée même d’un projet européen. Citons encore Simon Jenkins : « la dernière guerre est finie. Les vertus de l’union économique devraient être une matière de faits, de preuves, pas d’idéologie. L’Union Européenne est une économie, non une foi. Elle devrait avoir des arguments, pas des djihads » (The Guardian, 24 janvier).

David Cameron parle de l’Europe

 Pour une approche pragmatique

 David Cameron pense qu’il rend service à l’Europe en la détournant des idées fumeuses et  en en la focalisant de nouveau sur sa mission : améliorer la vie quotidienne des citoyens. Il croit que c’est le moment de clarifier ce qu’on attend de l’Europe et quelle direction on veut lui donner. D’une certaine manière, il a raison. Angela Merkel s’est dite prête à négocier, François Hollande a affirmé qu’on ne peut pas se servir de l’Europe à la carte, mais que l’Union Européenne a besoin de la Grande Bretagne.

 Que va-t-il maintenant se passer ? L’opinion publique britannique est indécise : si un referendum était organisé en ce moment, selon un sondage du Times, 40% des électeurs britanniques tourneraient le dos à l’Union Européenne, 37% seraient favorables à y rester et 23% seraient incertains. Il est possible que les Travaillistes, qui sont hostiles au référendum, reviennent au pouvoir en 2015.

 Si je peux hasarder un pronostic, la Grande Bretagne ne sortira pas de l’Union Européenne en 2017, même  si un référendum est organisé. Cameron n’a pas défini la « ligne rouge » au-delà de laquelle il recommanderait la sécession de son pays. Les Etats-Unis sont notoirement en faveur du maintien du Royaume Uni dans l’Union, où son allié privilégié peut peser sur les décisions. Les Allemands apprécient la relation triangulaire avec la Grande Bretagne et la France, qui rééquilibre le couple franco-allemand. Les milieux d’affaires britanniques considèrent que la Grande Bretagne affaiblirait sa position dans les grandes négociations économiques ou financières si, comme de petits états comme la Suisse ou la Norvège, elle parlait de l’extérieur.

 Le désir du gouvernement conservateur de renégocier l’organisation de l’Union européenne est fondé sur des raisons qui me sont étrangères : moins de justice, moins de droit social, moins de règlementation bancaire définis à l’échelon européen. Mais son approche pragmatique, donnant plus de poids à la subsidiarité, c’est-à-dire à ce qui peut rester décidé plus proche des citoyens, peut être bénéfique pour l’Union elle-même.

 Encore faut-il dépasser les préjugés et s’efforcer de comprendre vraiment ce qui se passe dans la tête des eurosceptiques. Dans le cas de Cameron, adversaire certainement, mais pas stupide.

Glaciale uniformité

La photo diffusée par The Guardian du leader nord-coréen Kim Jung-un délivrant son message de nouvel an fait froid dans le dos.

 L’image est celle d’une glaciale uniformité. Les paroles du leader sont recueillies par sept microphones, rigoureusement identiques. Pourquoi sept ? Par superstition ? Par crainte d’une défaillance de six micros, laissant le septième seul fonctionnel ? Pour s’assurer que le message soit diffusé sur sept chaînes de radio ou de télévision avec non seulement le même contenu mais la même tonalité ?

 Le leader porte un uniforme noir d’une infinie tristesse. L’uniforme suggère lui aussi l’abolition des couleurs et des différences. Ce n’est qu’une suggestion, car on connait l’abîme qui sépare le mode de vie des dirigeants de celui de leurs sujets.