Ian Fleming au Times

 

Ian Fleming. Photo The Guardian

 

On vient de célébrer les cinquante ans du premier film de la série des James Bond : Docteur No, avec Sean Connery. Le Sunday Times Magazine du 14 octobre évoque le rôle de l’auteur de James Bond, Ian Flemming, comme responsable du réseau de correspondants étrangers du journal.

 Ian Fleming a été journaliste au Times de 1945 à 1962. Il dirigeait un réseau de plus de 80 reporters dans les cinq continents. Outre leurs fonctions de journalistes, nombre de ses correspondants étaient aussi des espions des Services Secrets britanniques. Fleming avait sculpté son job à sa mesure et selon ses goûts : journaliste, romancier, agent secret, joueur de golf le week-end, consacrant deux mois par an à sa propriété en Jamaïque. Ses centres d’intérêt étaient les voitures, les armes à feu, le manger et le boire et le sexe sadomasochiste.

 La secrétaire de Fleming au Times, qui portait le nom romanesque d’Una Trueblood et est aujourd’hui octagénaire, dactylographiait ses romans. Il lui dédicaçait les premières copies : « à Una, qui a écrit tous les livres ». Dans Docteur No, l’une des protagonistes porte le nom de Mary Trueblood et meurt de mort violente. « Avec mes excuses pour la mort soudaine » écrivit Fleming sur la page de garde à l’intention d’Una.

 Godfrey Smith, qui travailla au Times avec Fleming, dit de lui qu’il était « débonnaire, sophistiqué, charmant et avec un énorme budget de dépenses. Il conduisait partout une voiture chic et chère. Sauf une fois, je pense après qu’il se fût mis aux livres de Bond, je l’ai vu de mes yeux attendre à un arrêt d’autobus. C’était l’une des choses les plus drôles que j’aie jamais vues. Je suppose qu’il était à la recherche de je ne sais quelle nouvelle expérience. »

The Illusion

 

The Illusion

Le Southwark Playhouse donne jusqu’au 8 septembre « The Illusion », une adaptation par l’Américain Tony Krushner de L’illusion Comique de Pierre Corneille (1636).

 La pièce se déroule dans la grotte où officie la sorcière Alcandre. On ne peut rêver de site plus adapté que le Southwark Playhouse. Celui-ci occupe des voûtes situées sous la gare de London Bridge, construites en briques rouges que le temps a chargées de mousse et de crasse. De temps à autres les acteurs doivent forcer la voix pour soutenir la concurrence des trains.

 Alcandre reçoit la visite de Prédamant, un avocat qui s’est fâché depuis quinze ans avec son fils Cindor. Il a essayé de retrouver sa trace, sans résultat. C’est en désespoir de cause qu’il recourt aux services de la sorcière. Et voici que celle-ci lui fait apparaître des scènes de la vie de son fils, réduit à servir un maître fanfaron, tentant de séduire la jeune fille que celui-ci convoite, assassinant un prétendant, condamné à mort, sauvé par la belle, l’épousant, la trahissant et finalement tué à son tour. Prédamant est spectateur des visions que génère la sorcière, mais reste impuissant face à ce qu’il voit, et il sent monter en lui l’amour qu’il a dénié à son fils. A un seul moment les deux mondes, celui de la caverne et celui des visions, communique : Cindor emprisonné reconnait son père et tente de l’appeler.

 Récrite par Krushner, la pièce de Corneille est étonnamment moderne. Un psychanalyste y trouverait ample matière à son enseignement : le père découvre dans les visions d’Alcandre le fils qu’il a perdu ; la grotte de la sorcière sert de matrice d’où nait un nouveau Prédamant.  Mais on peut aussi une allégorie de la production d’images dont notre époque est boulimique. A la fin de la pièce, Alcandre révèle à Prédamant qu’il a en réalité assisté à une succession de théâtre et que Cindor est devenu un acteur de renom. Corneille avait fait de l’Illusion Comique un hommage au théâtre ; c’est à une réflexion sur la liberté que les images prennent à l’égard le monde réel que nous invite Krushner.

 La plupart des acteurs sont des nouveaux diplômés du RADA, et le metteur en scène, Seb Harcombe, est leur professeur. Je dois de nouveau cette soirée à mon amie Bridget. Un acteur m’a semblé exceptionnel : Daniel Eston, qui joue différents rôles, et notamment celui du bouffon de la sorcière, un personnage créé par Krushner et absent de Corneille.

 On passe avec The Illusion une excellente soirée de théâtre.

Shakespeare : mettre le monde en scène

 

A Robben Island, Mandela annote "Jules César" de Shakespeare. Photo The Guardian

Le British Museum présente jusqu’au 25 novembre une exposition intitulée « Shakespeare ; Staging the world » (mettre le monde en scène).

 La pièce la plus émouvante de l’exposition est celle présentée aux visiteurs au moment de la quitter : un recueil des œuvres complètes de Shakespeare, introduite clandestinement à Robben Island. Les prisonniers avaient souligné le passage qu’ils préféraient. Nelson Mandela avait retenu le suivant, de la pièce Jules César : “Cowards die many times before their deaths/The valiant never taste of death but once.” Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort / le valeureux ne goûte la mort qu’une seule fois ».

 L’exposition a pour ambition de montrer les influences qui ont modelé la personnalité et l’œuvre de Shakespeare. Elle le fait à partir d’objets tels que des cartes géographiques, des tableaux, des sculptures, des accessoires de la vie quotidienne comme cet émouvant bonnet de laine obligatoirement porté par la plèbe ou des reliques, comme le reliquaire contenant la cornée d’un jésuite martyrisé.

 Elle évoque naturellement la vie bucolique de Stratford upon Avon et du Warwickshire, le comté d’origine du dramaturge. Mais c’est surtout Londres qui se trouve au centre de l’exposition, une ville qui comptait déjà 200.000 habitants, comprenant beaucoup d’immigrants (en particulier les protestants persécutés sur le Continent) et dotée d’un quartier, Southwark, où se pratiquait la prostitution, se montraient des ours attaqués par des chiens et se produisaient des spectacles avec une grande gamme de prix où l’on mangeait et l’on buvait. Londres devenait un port international important, au moment où Francis Drake entreprenait son tour du monde : que Shakespeare ait appelé son théâtre « The Globe » n’a rien de surprenant.

 L’actualité politique est sous-jacente à beaucoup de pièces de Shakespeare, sous le long règne d’Elizabeth I (1558 -1603) puis de James I (1603 – 1662). L’incertitude sur la succession dynastique, la guerre d’Irlande, les tentatives de coups d’Etat, la féroce répression des catholiques après le complot de Guy Fawkes, tout cela fournit un ample matériau aux pièces de Shakespeare, sous le déguisement du Moyen Age ou de l’antiquité romaine. L’intervention des sorcières dans Macbeth par exemple a elle-même une connotation historique : le roi James I était persuadé que la menace de naufrage qu’il avait vécu au cours d’un passage entre la Grande Bretagne et le Danemark était dû à un sort qu’on lui avait jeté.

 Dans plusieurs salles, des vidéos montrent des acteurs jouant des scènes de Shakespeare qui font écho aux influences que présentent les objets exposés. On comprend mieux, grâce à eux, comment l’art s’est élevé sur les épaules de l’histoire.

Portrait posthume de William Shakespeare

The Real Thing

 

Geral Kyd (Henry) et Marianne Oldham (Annie) dans The Real Thing

Le Palace Theatre de Watford vient de présenter une pièce écrite par Tom Stoppard en 1982, « The Real Thing ».

 Tom Stoppard, né en 1937 en Moravie et émigré eux ans plus tard dans les possessions de l’Empire Britannique pour fuir les persécutions nazies, est un dramaturge connu en Grande Bretagne. Il a en particulier coécrit le scénario du film Shakespeare in Love.

 Dans « The Real Thing » (la Réalité), c’est aussi un dramaturge, Henry, qui s’efforce de vivre sa vie de la manière la plus honnête, ou la plus romantique, possible. Le premier acte nous montre la rupture avec sa première femme, Charlotte, qui le trompait effrontément, et le début de sa relation avec Annie. Dans le second acte, Annie à son tour confesse une relation extraconjugale mais jure à Henry son amour, non exclusif.

 Quelle est la réalité de l’amour d’un homme et d’une femme ? Annie comme Charlotte est comédienne. La première scène est « une pièce dans la pièce », Charlotte jouant le rôle de l’infidèle ; plus tard, dans le deuxième acte, nous verrons aussi Annie répétant un dialogue avec un homme qui est aussi son amant. Ce jeu de miroir entre les personnages eux-mêmes et les personnages jouant comme comédiens, brouille la carte des relations. « Are you all right ? » – « est-ce que tu vas bien ? » revient comme un refrain obsessionnel : jouent-ils à l’amour ? Aiment-ils vraiment ?

 Annie milite pour la libération d’un militant, Brodie. Celui-ci écrit des textes politiques que Henry juge dénués de talent. Il compare le métier du dramaturge à une batte de cricket : elle est capable de projeter une balle à des centaines de mètres avec une accélération formidable. Le mauvais écrivain est celui qui se sert d’une batte comme d’un vulgaire morceau de bois.