La Grande Belleza

« La Grande Belleza », film de Paolo Sorrentino, constitue un moment de bravoure du cinéma italien, dans le droit fil de Federico Fellini.

 Jep Gambardella (Toni Servillo) est un Romain mondain, ou un mondain romain selon que l’on accorde plus d’importance à l’une de ses deux caractéristiques. Son univers se réduit à la ville de Rome, encore qu’il soit abusif de parler de réduction s’agissant d’une ville d’une telle profondeur historique et esthétique. Il a choisi d’être le roi des mondanités : il ne se contente pas de participer aux fêtes, mais jouit du pouvoir de les gâcher. Continuer la lecture de « La Grande Belleza »

Para Interromper o Amor

Dans Para Interromper o Amor (« pour interrompre l’amour », Quetzal, 2010), Mónica Marques narre avec intensité la brève histoire d’amour de deux femmes.

 Née en 1970 à Lisbonne, Mónica Marques est journaliste. Elle vit à Rio de Janeiro. « Para interromper o amor » est son second roman.

 Son personnage, Numa est, comme elle-même, Portugaise expatriée au Brésil. Comme elle-même, elle est écrivaine. Depuis longtemps, elle flirte avec un écrivain portugais, João. Il lui fait rencontrer sa femme, Antónia. Numa et Antónia viennent d’horizons opposés, l’une fille d’un grand bourgeois exilé après la Révolution des Œillets, l’autre fille d’un dirigeant communiste. Elles tombent passionnément amoureuses l’une de l’autre.

 Comme l’indique l’auteure dans le premier chapitre, le livre n’a pas d’histoire : l’un des personnages, Antónia, « se met en grève » et disparait de la vie de Numa, la laissant au bord du précipice. Mais s’il n’a pas d’histoire, il est chargé d’érotisme, entre sexe, amour et littérature.

 « « Mais que fais-tu ici déjà toute nue ? J’ai passé la semaine à imaginer comment tu allais te déshabiller. » J’ai ri et je me suis mise au lit, à ton côté, avec mes vêtements sentant la cigarette. Tu as ri et tu t’es accrochée à mes épaules en me tirant vers toi. Nous sommes restées ainsi, sans rien dire, une minute ou deux à nous habituer à ces nouvelles manières, les personnes sont différentes couchées côte à côte, plus fragiles et vulnérables, choisissez le mot qui vous convienne le mieux. Nous avons allumé des bougies, nous avons mis de la musique, nous avons bu, nous avons fumé  et mangé des raisins – ensuite, le matin, un yaourt et des myrtilles, mais nous ne sommes pas encore arrivées là (…) Toi en face de moi, tout ton corps à découvrir, ta bouche, tes mains sur ma bouche et sur mon cou et sur mes bras, je me retourne et j’ai davantage envie, et tu me retournes et tu restes dans ma nuque et tu parles et tu me soulèves les cheveux et tu descends avec tes doigts par le cou, les épaules, les côtes et tu dis : -« Si jolie. Tu es belle. Ne permets jamais qu’on te dise le contraire. » »

Les solives de Michel de Montaigne

Maximes peintes sur les solives de la bibliothèque de Montaigne.
Photo « transhumances »

A une cinquantaine de kilomètres à l’est de Bordeaux, près de Saint-Emilion, le château de Montaigne est imprégné du souvenir de l’auteur des Essais.

 La visite du château de Montaigne est déroutante. Le principal corps de bâtiment, qui est habité par une famille et est fermé à la visite, est de style renaissance. Construit bien après l’époque de Montaigne, détruit par un incendie en 1885, il fut reconstruit à l’identique. Mais la tour où vécut l’écrivain jusqu’à sa mort en 1592 à l’âge de 59 ans, est restée telle qu’elle était il y a 430 ans. On réalise en visitant ce bâtiment à l’austérité toute médiévale que Montaigne vivait à un moment d’intenses bouleversements. Il habitait une fortification de l’époque féodale, mais sa volonté de parler à la première personne inaugurait les temps modernes ; à la même époque, Cervantès imaginait un chevalier errant dont l’esprit était habité par le Moyen-âge alors que les temps avaient changé.

 Au rez de chaussée de la tour se trouve la chapelle privée, au premier étage la chambre de l’écrivain, au second la bibliothèque où il écrivit les Essais. La mise en scène est minimale : peu de mobilier d’époque, de documents originaux, pas d’audiovisuel. La tour est nue et froide. Elle en devient presque plus émouvante. Dans la bibliothèque, une simple table évoque le travail de l’écrivain. Sur les solives du plafond, il avait fait peindre des devises en latin (la langue de sa petite enfance). Il arpentait la pièce en long et en large, et ces inscriptions lui rappelaient les sources de sa sagesse. De Térence, il citait « je suis homme, et considère que rien d’humain ne m’est étranger » ; et de Stobée : « la superstition suit l’orgueil et lui obéit comme à son père ».

 Le grand-père de Montaigne était négociant en vins. La région entre le village Michel de Montaigne et Saint-Emilion est couverte de vignobles. En cette journée de novembre, traversée d’averses et d’embellies, le paysage est superbe. Le soleil se réfléchit sur les feuilles de vigne rousses, trempées par l’ondée. Nous déjeunons au restaurant Le Vieux Presbytère de Montagne Saint Emilion et découvrons le sel de vigne, un sel épicé et imprégné de vins de Merlot, Syrah, Cabernet et Pinot, qui accompagne une grande variété de plats, du gibier aux fruits de mer. C’est aussi une manière de rendre hommage à Montaigne, un homme résolu à jouir de la vie comme elle venait, sans se laisser happer par les haines religieuses ou idéologiques. « Il n’est rien si beau et légitime que de bien faire l’homme », écrivait-il.

Paysage viticole près de Saint Michel de Montaigne. Photo « transhumances ».

Maubuisson

Sur la plage de Carcans

La station de Carcans Maubuisson, en Gironde, est le lieu de nos vacances depuis une quinzaine d’années.

 En ce mois d’août, nous sommes une dizaine à vivre dans notre maison, appartenant à trois générations, de 26 à 86 ans.

 La journée commence par la boulangerie. Tôt le matin, on n’y rencontre pratiquement que des hommes venus acheter baguettes et croissants. Ma nièce Camille pense que c’est leur unique contribution à la communauté familiale, et qu’ils se dédouanent ainsi de leur parasitisme ! Au bout de la rue commerçante, sur la Place du Pôle, se trouve le marchand de journaux. Si Sud-Ouest est déjà sur les rayons, il faut invariablement patienter pour acheter Le Monde et bavarder patiemment avec d’autres lève-tôt. Je reviens à la maison par la promenade du lac. Le soleil levant, les nuages, la brume, le vent ou son absence, donnent au lac un aspect changeant. Chaque matin, c’est un émerveillement.

 Maubuisson est au cœur d’un réseau de pistes cyclables qui courent dans les dunes sous les pinèdes. Selon l’inspiration du moment, on peut aller simplement à la plage, faire un détour par la base sportive de Bombannes, prendre une bière à Lacanau ou flâner sur les rives de l’étang de Cousseau. En fin de journée, le soleil oblique projette des ombres géométriques et les arbres laissent passer une belle lumière tirant sur le rouge. Mais les photos rendent imparfaitement compte des sensations que l’on éprouve. Il faudrait pouvoir rendre compte de l’exquise fragrance de pins et de bruyères émanant d’un sol sableux chauffé à blanc et du concert assourdissant des grillons. Il faudrait montrer la variété des paysages, selon la hauteur et l’orientation des dunes et selon l’état de la forêt, de la haute futaie aux coupes claires. Sur une piste, je croise une famille. Les petits enfants roulent en file impeccable, chacun suivi et conseillé par un adulte. Le grand père ferme la marche ; je crois voir en lui mon propre père escortant ses petits-enfants il y a vingt-cinq ans, immensément sérieux et pourtant souriant. Sur les pistes de Maubuisson, on dépasse de jolies joggeuses et l’on croise de ravissantes cyclistes offrant aux regards leur décolleté.

 De Maubuisson à la plage de Carcans, il n’y a que trois mille tours de pédale à donner. Une fois les bicyclettes cadenassées sur le parking à vélos, on gravit la dune. Au nord et au sud, la bande de sable fin s’étend sur des dizaines de kilomètres, plus de deux cents au total entre la pointe de Grave et Hossegor. Par beau temps, des milliers de baigneurs installent leurs sacs et leurs serviettes. La zone de bains surveillée est délimitée par deux drapeaux bleus et les sauveteurs exercent une vigilance constante : c’est que les courants peuvent être forts et les vagues déconcertantes. Au soir d’une journée de canicule, immerger son corps couvert de sueur, plonger sous les vagues et se sécher allongé sur le sable dans une semi-inconscience offre un moment de vrai bonheur.

 Au soir couchant, nous partageons le dîner sur la terrasse, souvent introduit par un pastis ou un punch. Des propos s’échangent, des plaisanteries se croisent, on parle de la recherche d’un château bordelais pour un mariage l’an prochain, on évoque le livre que l’on est en train de lire. La nuit s’établit peu à peu. On allume sur la table de petites bougies. Les premières étoiles apparaissent au firmament.

 Maubuisson est notre petit coin de paradis.