En marge de l’exposition « Goya, les malheurs de la guerre », le Musée d’Aquitaine a organisé le 10 févier une projection du film documentaire « Goya, el secreto de la sombra » (Goya, le secret de l’ombre) en présence du réalisateur David Mauas.
Le point de départ du film est la conviction d’un jeune amateur d’art barcelonais d’avoir acquis un Goya inconnu. Alléché par la perspective de vendre pour des millions d’euros une toile achetée pour quelques milliers, il convainc des amis de financer des expertises. Son argument est que Goya parsemait son œuvre de « micro-signatures », des « G », des « O », des « Y » et des « A » situés de préférence dans les zones d’ombre des toiles. Les experts démontreront l’inanité de ces prétentions.
Le scénario flotte ensuite entre les tribulations du jeune Barcelonais et de ses financiers, un reportage sur les traces de Goya de Saragosse à Madrid et une méditation sur l’œuvre de Goya. C’est ce dernier aspect qui m’a intéressé. Les témoignages d’une experte du musée du Prado et d’une spécialiste britannique de Francisco de Goya évoquent son importance pour l’histoire de l’art dans la transition entre les dix-huitième et dix-neuvième siècles. Le génie de Goya est sensible dans une série de photos en noir et blanc prises par Mauas et utilisées par lui dans le film. Le cadrage des photos et le renoncement à la couleur font de ces photos, et donc du film, une œuvre à partir d’une œuvre : en somme, un hommage à la fécondité créative du peintre aragonais devenu, dans les dernières années de sa vie, bordelais.
La Pinacothèque de Paris présente jusqu’au 27 mars une remarquable exposition consacrée à l’artiste japonais Ando Hiroshige (1797 – 1858), dont l’œuvre a influencé de nombreux peintres occidentaux à la fin du dix-neuvième siècle.
Visiter l’exposition requiert un effort : les estampes présentées sont de petite taille et sont peu éclairées. On ne trouve pas ici l’éblouissement ressenti en parcourant les salles lorsque les œuvres sont de grande taille. Ici l’espace est caverneux et il faut trouver une place dans la foule et se pencher sur chacune des pièces. Mais cela vaut la peine. La magie joue dès le premier moment.
Les estampes d’Hiroshige dépeignent des paysages d’Edo (aujourd’hui Tokyo) ou des scènes observées sur les deux routes menant de Kyoto, la ville impériale, à Edo, la ville du gouvernement : Tôkaidô (1833 – 1834) et Kisokaidô (à partir de 1839). Les deux villes sont distantes d’environ 500km, et il fallait une vingtaine de jours pour effectuer le voyage. Des dizaines de relais marquaient ce parcours, où l’on trouvait des auberges, des boutiques, des temples. Les riches voyageaient à cheval et descendaient dans des hôtels de bon standing ; les pauvres marchaient à pied, s’achetaient chaque jour les sandales de paille qui leur permettraient de parcourir d’étape suivante et descendaient dans des auberges de bas niveau.
Hiroshige tient de véritables carnets de voyage. Il décrit les voyageurs surpris par le vent ou par la pluie, les aubergistes essayant d’attirer les clients, des processions religieuses, les dîners pris à l’auberge, des voyageurs allumant leurs pipes. Le dessin est fin, précis, souvent drôle.
Je me suis demandé ce qui rendait les estampes d’Hiroshige aussi immédiatement reconnaissables comme « japonaises ». Je crois que c’est le contraste entre le sujet du tableau, très minutieusement peint, et l’arrière plan, traité comme s’il s’agissait d’une surface plane sans aspérité, qui constitue leur marque de fabrique. Lorsqu’ils s’effacent devant un monument ou un groupe humain, mer, terre et ciel sont traités comme s’il n’existait pas de dénivelé, de vagues ou de nuages ; lorsqu’ils deviennent le sujet même de l’œuvre, ils sont décrits avec un luxe de détail.
Hiroshige a profondément influencé les peintres européens de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, et la Pinacothèque présente en parallèle une exposition intitulée « Van Gogh, rêves de Japon ». Son œuvre reste, aujourd’hui encore, fascinante.
A noter que le numéro hors-série de la revue Connaissance des Arts consacrée à « Hiroshige, l’art du voyage » est splendide.
Affiche de l’exposition « La Belle & La Bête ». Valérie Belin, Cleome Spinosa (Spider Flower), 2010
L’Institut Culturel Bernard Magrez de Bordeaux présente jusqu’au 29 janvier une exposition intitulée « La Belle & La Bête, Regards croisés sur la Beauté ».
Le thème de l’exposition est dérivé d’un tableau de Bernard Buffet, les Oiseaux, le Rapace, de 1959. Le peintre se représente sous les traits d’un oiseau prédateur se nourrissant de la chair de son modèle. Le lien des autres œuvres présentées avec ce fil directeur est ténu, et il vaut mieux ne pas chercher de cohérence dans ce parcours.
L’Institut Culturel dont le magnat de la viticulture Bernard Magnez est le mécène, occupe un splendide hôtel particulier proche de la Barrière du Médoc à Bordeaux : le château de Labottière. Il offre, nous dit le catalogue de l’exposition, « un espace de poésie visuelle et d’émotions ». Et c’est bien cela que l’on éprouve en flânant d’une pièce à l’autre des deux étages du château.
Bernard Buffet, les Oiseaux, le Rapace, 1959
Les techniques employées par les artistes vont de la sculpture à la peinture, à la photographie, aux installations mobiles et à la vidéo. Quelques-uns ont marqué le 20ième siècle comme Bernard Buffet, René Magritte ou André Masson dont on admire un splendide tableau de 1942, « Nue aux papillons ». La plupart des œuvres toutefois datent de ces dernières années et sont l’œuvre de créateurs et créatrices opérant dans une grande variété de pays.
André Masson, Nue aux papillons, 1942
Puisqu’il faut choisir parmi les œuvres présentées dans l’exposition ou la collection permanente, j’en retiendrai trois.
« Better Places » est une installation réalisée par Pae White, née en 1963 à Pasadena en Californie. Il s’agit de dizaines de petits miroirs colorés en suspension. Selon l’angle de vue, et selon aussi que des souffles d’air agitent les miroirs, c’est une multitude de visions qui s’offrent au spectateur. Le catalogue parle de surréalisme, de capacité hallucinatoire, d’appel à la rêverie et à l’imagination. L’œuvre est en effet très forte.
J’ai aimé « Révolte » de Laurent Valera, artiste de Pessac né en 1972. Il s’agit d’une œuvre « composée d’aluminium et de miroirs, qui propose un jeu d’ombres et de lumières laissant apparaître les mots « Révolte » et « Espoirs ». L’artiste, nous dit le catalogue, se sert de la lumière afin de jouer avec notre perception. C’est en éclairant cette structure que la magie opère, deux termes opposés et pourtant indissociables, apparaissent grâce à la lumière.
Enfin, j’ai été séduit par une photographie de l’artiste anglaise Sam Taylor Wood, née à Croydon en 1967 : « Self Portrait suspended », de 2004. L’artiste semble en lévitation dans son atelier. Pour créer cette scène impossible, « Sam Taylor-Wood s’est suspendue à des bandages qu’elle a ensuite fait disparaître à l’aide de logiciels photographiques. En flottant ainsi dans les airs, sans l’aide de quelques supports visibles, l’artiste tente de figer et de transmettre au public un moment de liberté et d’abandon total ».
L’art contemporain est parfois ressenti comme rébarbatif, parce qu’il emprunte des chemins nouveaux. La flânerie dans les belles salles du Château Labottière nous le rend accessible, dans sa diversité et dans sa recherche du beau.
Le film « Renoir » de Gilles Bourdos dépeint un Auguste Renoir au crépuscule de sa vie, s’acharnant à préserver une oasis de beauté et de création artistique alors que le malheur fait rage.
En 1915, Auguste Renoir (Michel Bouquet) est âgé, souffre de polyarthrite et ne peut marcher. Dans son domaine des Collettes, à Cagnes sur Mer, il est le patron, régnant sur un groupe de femmes à son service. Malgré la souffrance et la maladie, il continue à travailler d’arrache pied, se faisant transporter à son atelier ou en pleine nature pour peindre ce qui le fascine, le corps des femmes dans la lumière.
Il a besoin d’un modèle. Une toute jeune femme arrive au domaine, venue de nulle part, Andrée (Christa Théret). Elle est vive, ambitieuse, rebelle. Surtout, elle a un corps charnel comme Renoir les aime et une peau veloutée qui capte magnifiquement la lumière. Andrée devient la muse de l’artiste et lui permet de revenir au sommet de son art.
Pourtant, le malheur frappe. Pierre et Jean, les deux fils aînés d’Auguste, sont blessés au front. Son épouse, bien plus jeune que lui pourtant, vient de décéder. Claude (Thomas Doret), le fils cadet resté au domaine, est en révolte permanente contre un père qui ne sait pas lui prodiguer de l’amour. Jean (Vincent Rottiers) vient aux Collettes en convalescence. Il ne tarde pas à tomber amoureux d’Andrée.
Dans le domaine, tout semble se dérouler au ralenti, les séances de pose interminables, le souffle du mistral sur les herbes, le pique-nique au bord du ruisseau. Pourtant, les tensions s’exaspèrent lorsque Jean décide de retourner au front. Andrée se sent trahie, Auguste est menacé de perdre le modèle qui lui a rendu confiance en son art. L’oasis de beauté qu’il a réussi à préserver dans un monde enlaidi par la guerre est menacée de submersion.
Il semble ne rien se passer, mais tout se passe derrière les apparences. Jean, le fils incertain sur son avenir, promet à Andrée que la guerre finie il fera des films dont elle sera la vedette. Auguste, le patron au cœur sec, le paralysé du corps et du cœur, parvient à se dresser sur ses pieds et à étreindre son fils à l’heure des adieux.