« Le Passé », film d’Asghar Farhadi, plonge le spectateur au cœur d’un drame familial.
Dès la première séquence du film, on comprend qu’il s’agit d’incommunication. Marie (Bérénice Béjo) accueille à l’aéroport son ex-mari, venu de Téhéran à Paris pour régler les formalités de son divorce d’avec elle. Ils sont séparés par une cloison en verre et communiquent par gestes. Plus tard, en sortant du parking en marche arrière sous la pluie, Marie manque d’emboutir une autre voiture : sur la vitre du hayon balayée par l’essuie-glace s’inscrit le générique du film : « Le Passé ». Un passé dangereux dont il vaut mieux ne pas s’approcher. Continuer la lecture de « Le Passé »
Dans « une Anglaise à bicyclette » (Stock, 2011), Didier Decoin nous parle des Indiens Sioux Lakotas, du Yorkshire, de photographie, d’amour, de bicyclette, de Conan Doyle et d’un conte de fées.
L’Anglaise à bicyclette, c’est Emily qui, en 1905, va épouser en grande pompe Jayson Flannery dans le village de Chippingham, dans le Yorkshire, où il possède un petit manoir. Emily rêvait d’un cheval, mais c’est une bicyclette New Rapid à rétropédalage et pneumatiques Dunlop qu’elle reçoit en cadeau de noces. Continuer la lecture de « Une Anglaise à bicyclette »
Dans le cadre d’une recherche documentaire pour un futur livre, je me suis intéressé à l’annuaire statistique de la France pour 1892, année de naissance de deux de mes grands-parents.
L’annuaire inclut plus de 600 tableaux. Dans certains cas, les statistiques sont d’une très grande précision. Ainsi la Justice Criminelle fournit-elle une description précise des 8.881 suicides enregistrés en France en 1891, par sexe, par tranche d’âge, par état civil et va jusqu’à répertorier 21 causes de l’acte fatal.
Je me suis particulièrement intéressé à Bordeaux et à la Gironde. Bordeaux s’est dépeuplé : 236.725 habitants en 2009, 6% de moins qu’en 1892. En revanche, la Gironde compte aujourd’hui 1,4 millions d’habitants, soit 80% de plus, dont environ 1 million vivent dans l’aire urbaine de Bordeaux.
Sans surprise, la population de la Gironde est plus âgée aujourd’hui qu’en 1892 : les moins de 20 ans représentent actuellement 24% de la population contre 32% ; les personnes âgées de 60 ans ou plus, 21% de la population contre 13%. On a célébré 5.537 mariages en 2009, 14% de moins qu’en 1892 ; mais on a enregistré aussi 3.447 divorces, 20 fois plus que les 166 actés en 1892.
Plus de la moitié des habitants de la Gironde en 1892 dépendaient de l’agriculture. Ils sont aujourd’hui environ 5%.
Il y avait en 2009 81.357 immigrés en Gironde, beaucoup venus d’Afrique du Nord et d’Afrique sud saharienne : ils étaient huit fois moins nombreux en 1892, et venaient principalement d’Europe.
Le Port de Bordeaux était en 1892 le quatrième port de France, après Marseille, Le Havre et, curieusement, Paris. Son activité représentait alors environ de tiers de celle des deux leaders. Marseille et Le Havre sont toujours au sommet du classement, mais le trafic de Bordeaux ne représente plus qu’un dixième de celui de Marseille. En 1892, une partie significative du trafic maritime se faisait encore par des navires à voiles : ce n’est que vingt ans plus tôt que le tonnage transporté par des navires à vapeur avait dépassé celui des navires à voile.
En 1891, l’annuaire avait été établi sous l’égide du Ministère du Commerce, de l’Industrie et des Colonies. En 1892, le nom du Ministère remplace la référence aux Colonies par Téléphone et Télégraphe. C’est qu’une révolution est en cours, semblable par son ampleur à celle d’Internet aujourd’hui. Bordeaux ne compte que 1.088 abonnés au téléphone en 1892. Mais le nombre de communications interurbaines s’accroît par un facteur 8 en quatre ans, de 1889 à 1893.
L’examen attentif de l’annuaire statistique révèle des réalités troublantes. En 1892, 5.225 garçons et 1.101 filles se trouvaient en établissement d’éducation correctionnelle en France. Un établissement spécial pour fille existait à Cadillac, en Gironde. Parmi ces enfants, 45 garçons et 32 filles étaient détenus « par voie de correction paternelle ». Les conditions sanitaires étaient épouvantables : près d’un enfant sur trois tomba malade cette année là ; 62 garçons et 17 filles décédèrent, soit 1.2% de la « cohorte », comme disent les statisticiens.
Les statistiques ont l’aridité des chiffres. Mais, dans leur idéal d’objectivité, elles révèlent à qui sait les lire des réalités humaines.
La Cité nationale de l’histoire de l’immigration présente à la Porte Dorée, à Paris, une exposition intitulée « Vies d’exil : des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie (1954 – 1962).
Le Palais de la Porte Dorée a été construit en 1931 dans le cadre de l’exposition internationale. Il fut un musée des colonies, puis musée national des arts d’Afrique et d’Océanie avant que les collections soient transférées – en 2003 – au nouveau musée du Quai Branly. Depuis 2007, le palais abrite la Cité nationale de l’histoire de l’immigration ainsi que l’Aquarium.
La visite du palais est en elle-même intéressante. Son architecte Albert Laprade l’a conçu en mêlant le style Art Déco, l’architecture classique française et l’architecture du Maroc. La salle des fêtes, devenue forum, et les deux salons de réception, celui du Maréchal Lyautey et celui du Ministre Paul Reynaud ont une décoration de bon goût mais délibérément exotique. L’immense façade en bas relief d’Alfred Auguste Janniot évoque les multiples réalités qui constituaient l’empire colonial français.
Le palais abrite une exposition permanente qui, à partir d’objets, de documents écrits, de photos, de peintures, d’enregistrements radiophoniques et de films, explique les différentes phases de l’immigration en France, belge, puis italienne, polonaise, espagnole et portugaise, et, plus récemment, maghrébine, turque, africaine ou vietnamienne.
Jusqu’au 19 mai, l’exposition temporaire est consacrée à l’immigration algérienne en France pendant la guerre d’Algérie. On y trouve des documents passionnants sur la vie dans les bidonvilles de Gennevilliers et de Nanterre, les musiciens qui se produisaient dans les cafés, les écrivains, la montée du nationalisme, la guerre fratricide entre le MPLA et le FLN, la répression menée par le ministre Papon, les porteurs de valise et finalement l’indépendance. L’exposition rend présente une époque déjà séparée de nous par une génération mais dont les blessures restent à fleur de peau. Elle le fait en adoptant le point de vue des Algériens exilés en France : ce décentrement est bienvenu.