Azincourt par temps de pluie

Dans « Azincourt par temps de pluie » (Mialet Barrault, 2022), Jean Theulé raconte à sa façon la bataille d’Azincourt, le vendredi 25 octobre 1415, dans lequel l’armée du Roi de France fut décimée par les Anglais d’Henry V. « Toutes les armées du monde ont, un jour ou l’autre, pris la pâtée, écrit Theulé, mais pour un désastre de cette ampleur, un seul mot s’impose : grandiose ! »

 Débarquée à Harfleur, l’armée du roi Henry V tente de rejoindre Calais pour revenir en Angleterre. Elle est affamée, épuisée par une gastroentérite contractée par l’’absorption de moules avariées, inférieure numériquement à l’armée française qui lui barre la route du retour. Sa seule force : un corps d’archers capables de tirer une flèche toutes les cinq secondes. Continuer la lecture de « Azincourt par temps de pluie »

À 15 ans, en 1763, marin sur un navire négrier

Les éditions Apogée ont publié en 1995 « Moi Joseph Mosneron, armateur négrier nantais (1748 – 1833) ». Âgé de 56 ans, Joseph fit pour l’édification de ses enfants le récit des trois voyages qu’il réalisa vers les Caraïbes, le premier alors qu’il n’avait que quinze ans. Son récit manuscrit a été mis en forme et commenté par Olivier Pétré-Grenouilleau.

 Joseph est le dixième enfant d’une famille d’armateurs nantais. Il s’embarque à l’âge de 15 ans sur le Prudent, un navire de son père, à la suite d’une scolarité calamiteuse. Voici ce qu’il écrit de son séjour au pensionnat des jésuites à La Flèche. Continuer la lecture de « À 15 ans, en 1763, marin sur un navire négrier »

État limite

Arte TV a récemment diffusé « État limite », documentaire de Nicolas Peduzzi qui suit pas à pas un psychiatre de l’hôpital Beaujon à Clichy. L’état limite est celui de patient en très grande souffrance psychique ; c’est aussi celui de l’hôpital public, qui faute de moyens n’est plus en mesure d’accomplir ses missions et sollicite les personnels à la limite de leurs forces.

 Jamal Abdel-Kader est « psychiatre mobile » au sein de l’hôpital Beaujon. Il n’exerce pas dans un service spécialisé dans sa branche, mais court d’un étage à l’autre, de la gastroentérologie à la cardiologie ou à l’orthopédie. Il accourt au chevet des malades lorsque, à côté de la pathologie qui les a amenés à l’hôpital, ils souffrent aussi de troubles psychologiques sévères. Dans la première scène du film, on le voit aux urgences, la nuit, tenter de faire baisser la tension entre un homme en garde à vue et les policiers qui l’escortent. Continuer la lecture de « État limite »

Chronique d’étonnement n°58

 

Je souhaite partager dans « transhumances » ce qui m’a étonné, dans ma vie personnelle comme dans l’actualité.

Dans cet article de transhumances, je m’étonne que le pouvoir russe ait osé assassiner Alexeï Navalny ; je m’étonne que le programme déraisonnable de construction de nouvelles prisons n’ait pas été révisé dans le cadre de l’annulation de 10 milliards d’euros de crédits budgétaires  ; et je relève un écho entre le destin de Navalny et les réflexions de Delphine Horvilleur sur la vulnérabilité.

 

Alexeï Navalny

J’ai été étonné que le pouvoir russe ose assassiner Alexei Navalny. Il l’a fait, après avoir, pour l’emprisonner, utilisé la vieille technique de la « Maskirovska », consistant à déguiser les causes réelles de l’incarcération d’un indésirable en l’inculpant de faits infamants, afin de le présenter à l’opinion russe et au reste du monde comme un simple criminel et non comme un adversaire politique.

Anne Soupa, militante féministe au sein de l’Église Catholique, voit en Navalny une « figure christique ». Lorsqu’il est revenu en 2021 de Berlin à Moscou, il s’est volontairement mis à la merci de ses ennemis, comme Jésus entrant à Jérusalem pour y subir sa passion. « Navalny s’en est expliqué, écrit Anne Soupa : on ne défend pas une cause de l’extérieur, mais de l’intérieur. Il lui fallait partager le sort de tous, rester solidaire de son peuple muselé, vivre la fraternité sans chipoter, avec tous les risques qui lui sont associés. »

Il ne faut certes pas diviniser Navalny. Les Ukrainiens se souviennent qu’il fut un ardent nationaliste russe et qu’il ne condamna pas franchement l’annexion de la Crimée.

Il reste que Navalny, comme Jésus, est un « opprimé volontaire », une figure que les détenteurs du pouvoir ne peuvent comprendre et qui leur fait peur. L’humanité a besoin de tels héros.

 

Annulations de crédit

 

La dette publique française dépasse maintenant 110% du produit national brut. Si le pays s’arrêtait de consommer et d’investir, il lui faudrait plus d’un an pour la rembourser. Préoccupé par la perspective d’une dégradation du « rating » de la France par les agences de notation et la hausse consécutive des intérêts à payer, le Ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, a annoncé dix milliards d’euros d’annulations de crédit.

 

Les secteurs les plus touchés seront l’écologie, le développement et la mobilité durables ; le travail et l’emploi ; la recherche et l’enseignement supérieur. Trois secteurs qui figurent, en théorie, au sommet des priorités de l’État.

 

Pourquoi ne pas profiter de l’opportunité de ce coup de rabot budgétaire pour reconsidérer le programme de construction de prisons ? Celui-ci est hors de contrôle. Le programme de 15 000 nouvelles places, initialement estimé à 4,5 milliards d’euros, est maintenant chiffré à 6,5 milliards. Le Parlement a voté une extension de ce programme à l’horizon 2027 : 18 000 places au lieu de 15 000. Ce sont donc près de 8 milliards d’euros qui sont engagés. Il faut y ajouter les fais récurrents de fonctionnement des nouvelles prisons : 110€ par jour et par détenu, plus de 40 000€ par an, soit 720 millions d’euros par an.

 

On sait par ailleurs que, les prisons ayant tendance à se remplir à mesure qu’elles se construisent, les nouveaux établissements ne résoudront pas le problème de la surpopulation carcérale et de la bombe à retardement de frustrations et d’insécurité qu’elle génère. Le redéploiement de cet effort déraisonnable de bâti carcéral vers un renforcement du suivi en milieu ouvert donnerait de bien meilleurs résultats en termes de réduction de la criminalité, avec un coût environ dix fois inférieur.

 

Jacob le boiteux

Le Monde a publié le 20 février un passionnant entretien avec la rabbine Delphine Horvilleur. « Dans la Bible, dit-elle, Israël est le nom d’un homme. Celui du patriarche Jacob, qui ressort victorieux de la lutte contre l’ange qui lui donne le nom d’Israël. Mais s’il a gagné son combat, Jacob-Israël demeurera boiteux pour le restant de ses jours. L’histoire d’Israël dans la Bible, c’est donc la conscience qu’on ne sort pas indemne des combats qu’on a menés dans l’existence, qu’il faut apprendre à vivre avec ce qui claudique dans nos vies (…)

« Tout au long de l’histoire biblique, l’alliance passe par ceux qui acceptent leur vulnérabilité : Abraham va devoir vivre avec sa stérilité, Isaac avec son aveuglement, Moïse avec son bégaiement. »

Pour Delphine Horvilleur, le narratif de puissance construit par l’actuel gouvernement d’Israël tourne le dos à la tradition biblique et menace l’avenir du pays.

La tradition biblique évoquée par Horvilleur et le destin d’Alexeï Navalny se font écho, revendiquant ensemble la vulnérabilité, acceptée comme compagne d’une vie individuelle et collective adulte pour l’une, comme instrument de lutte politique pour l’autre.

Alexeï Navalny