« Sombre dimanche », de la jeune romancière Alice Zeniter, est la saga d’une famille de Budapest, de la seconde guerre mondiale à la chute du mur de Berlin et à l’entrée de la Hongrie dans l’Union Européenne.
Ce livre est empreint d’un double désespoir : celui d’une nation qui fut grande du temps de l’Empire Austro-hongrois et qui est réduite à la condition d’un petit pays exposé aux rafales de la grande histoire ; et celui d’une famille, les Mándy, accrochée à la maison construite par l’ancêtre et incapable de s’adapter au monde tel qu’il devient. A sa lecture, on se sent envahi de mélancolie, mais par la magie de la poésie, la tristesse est sublimée et atteint une forme de beauté. Continuer la lecture de « Sombre dimanche »
Les périodes de forte chaleur estivale causent un supplément de souffrances aux personnes détenues et aggravent les conditions de travail du personnel pénitentiaire.
Les deux expériences sensorielles qui marquent le plus dans l’univers carcéral sont le vacarme et l’odeur. Lorsqu’arrive la canicule, les bruits de serrure et les vociférations de cellule à cellule perdurent mais tendent à s’assoupir. En revanche, l’odeur devient incommodante. Il s’agit d’un mélange intime de transpirations rances et de produits d’entretien de collectivité. Continuer la lecture de « Caniculaires prisons »
La Tate Modern présente jusqu’au 14 octobre une exposition intitulée « Edvard Munch, The Modern Eye » (l’œil moderne).
L’originalité de l’œuvre d’Edvard Munch (1863 – 1944) est qu’elle nait d’obsessions d’un homme mal dans sa peau et qui, loin de fuir son mal-être, a le courage de l’analyser en profondeur par l’expression artistique. « L’enfant malade » (1883), dont l’exposition de la Tate présente deux réélaborations plus tardives, dont l’une de 1907, est sa première œuvre maîtresse. Une jeune fille est assise dans son lit, redressée sur des coussins, et regarde vers la fenêtre. Un second personnage, une femme, est agenouillée auprès d’elle, désespérée, et lui tient la main. Les cheveux roux de la jeune fille semblent couler comme du sang, alors qu’une mèche reste collée sur l’oreiller. La jeune fille, c’est la sœur de Munch, de deux ans son aînée, morte de la tuberculose alors qu’il avait treize ans.
Le dernier tableau de l’exposition le présente très âgé, coincé dans son atelier entre une horloge, qui symbolise le peu de temps qui lui reste à vivre, et un lit d’hôpital bariolé. Le peintre est debout, très droit dans l’obscurité, alors que les œuvres accrochées au mur en arrière-fond sont en plein lumière.
Munch regarde en face la mort, la maladie, la déchéance morale de l’alcoolique qui s’oublie au point de faire feu sur un ami. Il les dépeint avec l’objectivité de sentiments violents qui prennent le spectateur aux tripes. Peu avant d’être hospitalisé, en 1908, pour une profonde dépression, il peint des dizaines de fois une jeune fille debout, nue, en train de pleurer. Victime d’une hémorragie dans son œil droit en 1933, angoissé à la perspective de devenir aveugle, il peint ce qu’il voit, en cachant son œil gauche pour que la représentation soit plus fidèle. S’analyser dans complaisance, encore et toujours.
Les commissaires de l’exposition ont souhaité mettre en évidence l’influence de la photographie et du cinéma dans l’œuvre de Munch. Une salle intitulée « espace optique » établit un parallèle convainquant entre des films du début du cinéma montrant des foules avançant vers la caméra et des tableaux comme « ouvriers de retour à la maison » de 1913 – 1914. Mais les nombreux autoportraits, et surtout une salle projetant des films amateurs réalisés par Munch, auraient pu être absents sans que l’intérêt de l’exposition en souffrît.
C’est la lucidité et le courage d’un homme souffrance, son entêtement à faire partager par la peinture son expérience existentielle qui rendent cette exposition magnifique.