On dit souvent que le temps est un gaz, qu’il s’étire ou se comprime selon les situations et les personnes. La vie en prison en fournit un bon exemple.
Au cours d’une réunion d’information des nouveaux entrants dans une maison d’arrêt, un détenu apostrophe la directrice. On lui a remis dans son paquetage un drap souillé. Il a appelé le surveillant, tambouriné sur sa porte, insulté. La directrice lui explique que le temps du détenu n’est pas celui du surveillant. À celui-là l’oisiveté, l’attente permanente de choses qui n’arrivent jamais aussi vite qu’on les attend, la frustration de ne pas se sentir entendu ; à celui-ci, mille tâches à accomplir, les mouvements à gérer, les promenades, les parloirs, les cantines, les demandes des dizaines de détenus de l’étage qu’il faut tant bien que mal prioriser.
Il y a pour les détenus des moments où le temps se comprime : les premières heures, celles de l’arrestation, de la garde à vue, de la comparution devant le juge, la première nuit en prison ; l’approche redoutée du procès, la visite annoncée d’un proche, l’urgence de répondre à une lettre de rupture, les heures qui précèdent la libération. Parfois le temps est si dense qu’il donne envie d’en finir avec la vie ; cette tentation est aussi présente quand, inversement, le temps est désespérément et interminablement vide.
Il y a le temps menaçant de Noël et des fêtes de fin d’année. La fébrilité extérieure qui entre à flots par la lucarne de la télévision et qui s’arrête là, dans une cellule minuscule et grise. Les fêtes de famille heureuses et douces dont le souvenir fait mal. La pensée des enfants qu’on ne serrera pas dans ses bras.
Il y a les longues nuits où l’on ne trouve pas le sommeil, et ces journées scandées par des événements minuscules, l’arrivée du repas, la promenade, la douche, un rendez-vous médical. Il y a le temps qu’on tue en atelier ou en salle de musculation.
Le temps en prison est comme un fluide glacial qui glisse dans les mains et fuit, inexorablement, hors contrôle.