The memory of love

“The Memory of Love” (le souvenir de l’amour), d’Aminatta Forna, est un roman bouleversant dont le cadre est un pays ravagé par une féroce guerre civile encore toute récente.

Aminatta Forna dit d’elle-même qu’elle est née en Ecosse, a grandi en Sierra Léone et en Grande Bretagne et a passé des périodes de son enfance en Iran, en Thaïlande et en Zambie. Elle a écrit trois romans, dont « The Memory of Love », publié en 2010. C’est un livre de plus de 400 pages dont les personnages principaux sont un pays, la Sierra Leone, un jeune chirurgien sierra léonais, Kai Mansaray, et un psychiatre anglais, Adrian Lockheart.

Un mot sur la Sierra Léone. C’est un petit pays équatorial de 6 millions d’habitants, dont les voisins sont la Guinée et le Libéria. Comme le Libéria, son histoire a été marquée par le retour d’esclaves africains libérés. Le nom de la capitale, Freetown, en témoigne. Comme le Libéria, il a été traversé par une guerre civile atroce, de 1991 à 2001, qui a fait plus de 50.000 morts et des centaines de milliers de réfugiés. Mamakay, le grand amour de Kai et d’Adrian, parle de son pays comme d’un jardin : « seulement, c’est un jardin dont quelqu’un a retiré toutes les fleurs et les arbres, et qu’ont quitté tous les oiseaux et les insectes, tout ce qui est beau. A leur place, les mauvaises herbes et les plantes empoisonnées se sont imposées ».

Le pays des muets

 Pour Adrian, ce pays est le pays des muets. C’est un trait culturel commun en Afrique. En Europe, le psychiatre Adrian utilise le silence comme une arme : en se taisant, il crée de la gêne et oblige le patient à se révéler. Rien de tel ici. « Si Adrian devient silencieux, eux aussi le deviennent, ils attendent patiemment et sans embarras. Ici les silences ont une autre qualité, ils sont entièrement dénués d’attente. » Depuis quelques mois qu’il est arrivé en Sierra Léone pour une mission temporaire, Adrian ne considère plus les silences comme une nudité que l’on doit couvrir. Il s’est habitué à leurs textures et à leurs ombres.

 En Sierra Leone, le silence est rendu plus prégnant encore par le caractère indicible des horreurs qui viennent de se dérouler. Parmi les patients traités par Adrian se trouve Adecali, qui souffre d’une phobie de la viande grillée et que le psychiatre voudrait aider à apprivoiser le traumatisme qui l’a rendu fou. « Adecali a appartenu à l’unité de Sensibilisation. La tâche de l’Unité était d’entrer dans une ville marquée pour l’invasion, en avance du contingent combattant de l’armée rebelle et de s’assurer par ses méthodes la future capitulation du village. Elle évitait des pertes – parmi les forces rebelles s’entend. Elle économisait des munitions. Le plan d’action de l’Unité était méticuleux, le processus sans merci, le résultat efficace. Le travail d’Adecali, son travail à lui, consistait à brûler des familles vives dans leur maison ».

Le syndrome du fugueur

Pourquoi Adrian a-t-il quitté le confort de sa vie en Angleterre pour venir dans ce pays meurtri au climat difficile ? En partie pour être utile. Son métier consiste à dresser la carte des sentiments de ses patients et à les aider à regarder en face ce qui les terrorise et les paralyse. Au lendemain d’une guerre civile  dont la cruauté évoque Oradour sur Glane, la tâche est immense. Adrian pense aussi trouver un cas clinique qui lui assurera une place au panthéon de la recherche psychiatrique. Et il le trouve. L’une de ses patientes, Agnes, fugue et parcourt à pied des dizaines de kilomètres. Lorsqu’elle est retrouvée et amenée pour traitement à l’hôpital psychiatrique, elle ne se rappelle plus de rien. Le syndrome du fugueur avait été pour la première fois identifié à Bordeaux en 1886 sur un patient, Albert Dadas, qui pendant un an avait parcouru l’Europe du sud de la France jusqu’à Moscou dans un état de totale amnésie identitaire. C’est la première fois qu’une telle pathologie est attribuée à une femme. Adrian cherche à identifier le traumatisme qui l’a déclenché. Agnes a vu son mari exécuté aux ordres d’un chef rebelle ; c’est celui-ci que sa fille, ignorante des circonstances de la mort de son père, a épousé. C’est en sa compagnie qu’Agnes doit vivre maintenant. C’est de cette insupportable cohabitation qu’elle s’enfuit.

Adrian a, parmi ses patients, un ancien professeur d’université, Elias Cole. Souffrant d’insuffisance respiratoire, il n’en a plus pour longtemps à vivre. « Ici sur la terre des muets, Elias Cole a choisi de parler ». Il raconte la rivalité qui l’opposait, au début de sa carrière, à Julius Kampara, un séducteur, un homme sûr de sa bonne étoile, qui ne craignait pas la mort – « la mort était trop insignifiante, trop petite, elle résidait au-dessous du niveau de son mépris ». Il éprouvait une passion pour Saffia, l’épouse de Julius. Après que celui-ci eut été arrêté, le soir des premiers pas d’Armstrong sur la lune, après qu’il fut mort en détention, il épousa Saffia, mais ce mariage ne fut pas heureux. « Imaginez ce que c’est de vous trouver dans un triangle amoureux avec un fantôme. Votre rival, content de soi dans la mort, ne peut jamais commettre d’erreur ou décevoir ». Dans son récit à Adrian, Cole réécrit sa vie comme il voudrait qu’on s’en souvienne. Mais son récit ne colle pas avec ce qu’Adrian apprend d’autres sources : Cole a collaboré avec la police, il a livré des listes d’étudiants contestataires, sa fille s’est brouillée avec lui pour ses trahisons. Cole en convient : pour survivre, il fallait être un pleutre, ne pas se faire remarquer, passer de petits arrangements. Mais il transfère la responsabilité de ses actes sur les autres. S’il n’est pas intervenu pour sauver Julius en train d’agoniser dans la cave de la police, c’est à cause de son arrogance ; s’il a transmis des informations à la police, c’est parce qu’elle les lui a demandées.

Fragmentation de la conscience

Adrian parle d’une « fragmentation de la conscience ». Tout le monde se juge victime de la terrible guerre civile. Chacun écrit sa propre vérité et exonère sa propre responsabilité, pêchant ainsi par omission. Nul ne se sent responsable du comportement du groupe – de l’organisme – dont il fait partie. En France, nous avons vécu une situation semblable après la seconde guerre mondiale. Il a fallu le film « Le Chagrin et la Pitié » de Marcel Ophuls en 1971 et le discours de Jacques Chirac au Vel d’hiv en 1995 pour que l’opinion française reconnaisse comme sienne la partie inavouable de son histoire sous l’Occupation. Il faudra sans doute aussi des dizaines d’années aux sierra-léonais pour se mettre en paix avec leur histoire.

Adrian est aussi venu en Sierra Léone pour secouer sa vie et trouver le bonheur. Il va le trouver, brièvement et intensément, avec Mamakay, dont il découvre qu’elle est la fille d’Elias Cole. Mamakay est une pure. Ecœurée par la lâcheté de son père, elle a abandonné l’université et gagne sa vie comme clarinettiste. Elle a autrefois été passionnément amoureuse de Kai, qui la connait sous un autre nom, Nenebah. Ils ont rompu parce qu’ils ne pouvaient se mettre d’accord sur un avenir commun. Kai ne voit de futur que dans l’exil, loin de ce pays dévasté. Fou amoureux de Mamakay, Adrian devient aussi amoureux de son pays. Le couple se rend la nuit sur une île pour observer les chauves-souris. Adrian les dessine, soulignant la beauté de ces animaux généralement considérés comme repoussants : comme la Sierra Léone elle-même.

Les destins de Kai et Adrian vont se croiser. L’un fuit son pays, l’autre veut rompre avec l’Angleterre et s’installer dans une patrie qui n’est pas la sienne mais s’enracine peu à peu dans son cœur. Mais un événement dramatique va changer le cours des choses. Le souvenir de l’amour, l’intensité de ce souvenir, vont rapprocher Adrian et Kai pour toujours.

Aminatta Forna

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