« The Nickel Boys », roman de Colson Whitehead récompensé par le prix Pulitzer en 2020, raconte l’histoire de deux adolescents noirs placés dans une maison de redressement cauchemardesque en Floride dans les années 1960.
Le roman s’inspire de la Dozier School for Boys de Marianna en Floride. Il y a quelques années, après la fermeture de l’école, on découvrit un cimetière clandestin et, dans le charnier, les corps de dizaines d’enfants qui avaient succombé sous les mauvais traitements. Cette découverte libéra la parole de dizaines de survivants.
La Nickel School for Boys avait déjà des décennies d’existence lorsqu’y entre Elwood Curtis, à la suite d’une erreur judiciaire. Elle devait son nom à un réformateur, Trevor Nickel, mais « Les garçons avaient l’habitude de dire que c’était parce que leurs vies ne valaient pas cinq cents », en référence à une pièce de monnaie.
La torture est au cœur du système de Nickel. Dans une pièce appelée « la Maison Blanche », une soufflerie industrielle étouffe les cris des enfants que l’on lacère à coups de fouet. Certains en meurent, et on diagnostique une mort naturelle ou, puisqu’aucune famille ne les réclamera, on les enterre à la va vite dans un sac à pommes de terre La plupart survivent et sont soignés à l’infirmerie, mais les mauvais traitements laissent des cicatrices partout, qui « s’infiltrent comme des larves dans la personnalité » des enfants. Ceux que le système n’a pas tués se débrouillent pour grapiller une vie normale, ou bien ne parviennent jamais à s’accorder avec les gens normaux.
Un autre pilier est l’exploitation du travail des enfants pour enrichir les responsables. C’est aussi le règne de l’arbitraire : « nul n’avait vu le guide de bonne conduite de Nickel bien qu’il fût constamment invoqué par le staff. Comme la justice, il existait en théorie. »
Elwood Curtis était un élève brillant promis, bien que noir, à l’université. C’est aussi un idéaliste, pétri des enseignements de Martin Luther King. « L’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité, disait le Révérend, seule la lumière le peut (…) Jetez-nous en prison, et nous vous aimerons quand même. Mais soyez sûrs que nous vous vaincrons par notre capacité à souffrir, et un jour nous gagnerons notre liberté. » Malgré l’injustice, malgré la torture, malgré le sadisme des éducateurs-bourreaux, malgré la préférence systématiquement donnée aux Blancs, Elwood se tient à une ligne de conduite : accepter la souffrance, attendre que l’opportunité lui soit donnée de dénoncer à l’extérieur l’enfer de Nickel et obtenir ainsi qu’il cesse.
Au contraire d’Elwood, Jack Turner est un délinquant. Whitehead dit de lui qu’il « était toujours simultanément chez lui où qu’il se trouvait, et qu’il semblait aussi qu’il n’aurait pas dû y être ; dedans et au-dessus au même moment ; partie prenante, et à part (en anglais : « a part and apart »). Comme un tronc qui tombe dans une rivière – il ne lui appartient pas et c’est comme s’il y avait toujours été, générant ses propres rides dans le grand courant. »
Jack Turner est un pragmatique. Pour lui, « la clé est la même que pour survivre en dehors d’ici – il faut voir comment agissent les gens, et ensuite imaginer comment les contourner comme dans une course d’obstacle ». Elwood s’inspirera de son ami : « regarder, penser, planifier »
Elwood et Jack s’enfuiront de Nickel. La fin du livre et son épilogue, des décennies après, sont bouleversants.
« Nickel Boys » est magnifiquement écrit et construit. C’est un livre dur, qui parle d’une violence institutionnalisée mais aussi de « l’infinie fraternité des garçons brisés ». L’héritage de l’esclavage le parcourt d’un bout à l’autre. Les garçons sont strictement séparés, Blancs d’un côté, Noirs de l’autre. Un problème se pose pour Jamie, trop pâle pour être avec les noirs, trop bronzé pour être avec les blancs, balloté d’un quartier à l’autre au gré des décisions du staff. « Je vais et je viens », disait Jamie.