The Tribe

Premier long métrage du réalisateur ukrainien Myroslav Slaboshpytskiy, « the tribe » met en scène des acteurs sourds et muets, dont la langue des signes n’est ni traduite ni sous-titrée.

Le jeune Sergey (Grigoriy Fesenko) entre dans un internat pour sourds et muets le jour où élèves et professeurs célèbrent une fête. Aucun mot n’est prononcé, car tous sont sourds et muets. Nous, spectateurs, n’entendons que le bruit des pas sur le sol. Eux écoutent le discours de la directrice prononcé en langue des signes.

Une rencontre amoureuse dans les ténèbres et le silence
Une rencontre amoureuse dans les ténèbres et le silence

Sergey ne tarde pas à découvrir qu’il arrive en enfer. Derrière la façade éducative, l’internat est dirigé par une véritable mafia, dont les chefs sont les élèves les plus âgés, les plus forts, les plus dénués de scrupule et les plus impitoyables, et dont le parrain est le professeur d’atelier de menuiserie.

 Outre des coups de main sur des quidams que l’on agresse lorsqu’ils reviennent du supermarché chargé de provisions, la tribu mafieuse a deux activités : la vente de menus objets dans les trains par les plus jeunes, que l’on contraint et que l’on rackette jusqu’au dernier centime ; la prostitution de deux jeunes femmes pensionnaires de l’internat, qui vendent leur charme à des camionneurs sur un parking de TIR.

Ayant gagné ses galons mafieux dans des bagarres et des extorsions, Sergey est désigné pour servir de souteneur aux filles dans leurs expéditions nocturnes. Pour son malheur, il tombe follement amoureux de l’une d’elles, Anna (Yana Novikova). La tyrannie mafieuse lui devient insupportable. Sa révolte gronde, sans bruit, dans un univers où l’on peut assassiner quelqu’un à grand bruit sans que son cothurne se réveille.

 « The Tribe » n’est pas sans évoquer « Ida », du réalisateur polonais Pawel Pawlikowski. Le décor urbain est sinistre, le mal rôde, la rencontre amoureuse semble ouvrir un avenir. Dans l’un et l’autre film, le cadrage est épuré, la lumière maîtrisée, les plans superbes. Mais Ida verse du côté de la rédemption, Slaboshpytskiy de celui de la damnation. Ses personnages semblent pris d’une frénésie : les sbires du caïd se hâtent de châtier le gringalet qui n’a pas versé tout son argent, les prostituées se dépêchent de vêtir leur tenue aguicheuse. L’enfer n’attend pas, il faut se dépêcher.

 Le fait de tourner ce film infernal en langue des signes est un projet délibéré, ainsi que l’explique le réalisateur : « Il est important, à mes yeux, que le spectateur ne comprenne pas ce qui se dit mot à mot, mais plutôt ce qui se passe en général comme c’est le cas dans la pantomime ou le théâtre kabuki Je me suis dit que ce mélange de cinéma, de pantomime et de ballet pouvait être une proposition artistique très excitante ! Vous l’avez sans doute noté, les personnes sourdes ne communiquent pas seulement avec leurs mains. Elles le font avec tout leur corps. Ce processus peut captiver n’importe qui, même si on ne comprend pas la langue des signes. »

 « The Tribe »,  film muet, contemporain et réaliste comme le caractérise Myroslav Slaboshpytskiy a été une révélation du Festival de Cannes 2014, où il a obtenu le prix de la Semaine de la Critique. En créant une coupure radicale entre l’acteur qui entend (au sens de comprendre) mais n’oit pas (il ne perçoit pas les sons) et le spectateur, qui oit mais n’entend pas, il entraîne celui-ci dans une expérience de langage unique. Pour cela, pour la performance des acteurs (en particulier Yana Novikova) et pour la qualité de la mise en scène, ce film est probablement l’un des meilleurs cette année. Il est toutefois à déconseiller à ceux qui ont besoin de légèreté, de douceur et d’optimisme.

Se hâter vers l'enfer
Se hâter vers l’enfer

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