Dans « avere tutto », roman publié en italien en 2022, Marco Missiroli raconte, jour après jour, les dernières semaines de vie d’un père dont le fils, quadragénaire, est venu au chevet. Il a été traduit en français sous le titre « tout avoir » (Calmann-Lévy, 2024). Les citations incluses dans cet article sont de l’auteur de « transhumances ».
Sandro Pagliarini a tout perdu. Ses économies, la fille qui partageait sa vie, son travail dans la publicité à Milan. À court de ressources, il part à Rimini et s’installe chez son père, Nando. Celui-ci est en soins palliatifs et n’en a plus que pour quelques semaines à vivre. « Que faisons-nous ? » demande le psychologue de l’hôpital. « C’est une des questions qui cache la conscience de la fin », observe Missiroli.
Ce qui a perdu Sandro, c’est sa passion pour le poker. À la table de jeu, il sent le temps se densifier sous la pression des émotions. L’auteur parle d’un « mouvement psychique en sinusoïde, avec six à huit pic émotifs pendant la journée d’une table. Des pics émotifs hauts : euphorie, palpitations et tremblements, besoin impérieux d’aller vers les œuvres d’art, perceptions faussées. Pics émotifs bas : sentiment d’angoisse, absence d’intérêt pour ce qui entoure, effondrement de l’empathie. »
Père et fils ont en commun l’ambition. Pour le fils, c’est prendre tous les risques pour avoir l’opportunité de tout gagner au jeu. Pour Nando et son épouse, c’était se présenter à tous les concours de danse de salon d’Émilie Romagne et de tenter un saut impossible, pour gagner à tout prix. La vie, ce n’est pas d’avoir plus, c’est de tout avoir.
Mais pendant ces semaines d’été et d’automne à Rimini, ce sont les gestes quotidiens qui prennent le dessus : les promenades en ville dans une vieille Renault 5, un café partagé sur le Lungomare, bécher le potager et récolter les légumes, se raconter des moments d’autrefois… C’est aussi placer des coussins dans le lit pour atténuer la douleur, veiller à la prise des médicaments, appeler le médecin en urgence, donner le bras pour aller aux toilettes…
Père et fils partagent un jeu : que ferais-tu si avec un million d’euros en plus et vingt, ou cinquante, années en moins ?
La présentation de ce livre dans sa version originale italienne le définit comme « un roman tendu et profond sur les passions qui nous font vivre, sur les amours jamais oubliées, sur ceux qui écrivent leur destin en mettant le feu à l’âme. Sur les pères et leurs héritages cachés. »
« Tout avoir » est un beau livre, sensible et pudique, sur l’amour d’un père et d’un fils. Il m’a aussi fait entrer dans l’univers du poker : le choix du lieu au dernier moment, sous le sceau du secret ; la sélection des joueurs, d’abord autorisés à n’engager que des espèces puis, quand ils ont fait leurs preuves, à émettre des billets à ordre ; les sommes phénoménales en jeu, des milliers d’euros, parfois des millions.