Avec « 3 Billboards : les panneaux de la vengeance », Martin McDonagh réalise un film intense et plein de rebondissements.
Milfred Hayes (Frances McDormand) a une obsession en tête : que la police retrouve et tue l’homme qui a violé et tué sa fille. On comprendra que dans son désir de vengeance entre une bonne part de culpabilité : si elle lui avait prêté sa voiture le soir fatal, elle n’aurait pas fait le chemin à pied, elle ne serait pas morte.
Trois panneaux publicitaires le long de la route peu fréquentée qui mène à sa maison lui fournissent l’instrument de sa vengeance : des affiches mettant en cause l’inaction de la police, et en particulier de son chef, Bill Willoughly (Woody Harrelson).
Les affiches accusatrices de Milfred divisent la petite ville d’Ebbing, charmante bourgade dans un paysage de montagne rappelant les Vosges ou le Massif Central. Au poste de police, les agents sont outrés par l’insulte faite à leur chef, d’autant plus qu’il est atteint d’un cancer et qu’il n’en a plus que pour quelques mois à vivre. Jason Dixon (Sam Rockwell) est de ceux-là. Il a la réputation de torturer des noirs. Il est prêt à user de la manière forte.
Un engrenage de la vengeance se met en place. Le problème, c’est que ceux qui commettent des actes de vengeance, ceux qui incendient au sens propre et au sens figuré, se trompent de cible.
Le problème surtout, c’est que la cible des affiches de Milfred Hayes, Bill Willoughly, n’entre pas dans la logique de la vengeance. Ce qu’il cherche, c’est de finir sa vie en beauté, avec un message d’apaisement adressé personnellement à chacun des acteurs du drame.
Tout est remarquable dans ce film : le jeu des acteurs ; un scénario qui emmène le spectateur de rebondissement en rebondissement ; l’alternance du rire et des larmes. « 3 Billboards : les panneaux de la vengeance » est recommandable.
Xavier Denecker, critique de films toujours subtil, apprécie ce film. Il est très bien fait techniquement, les acteurs vont glaner des oscars. Pourtant, je l’ai détesté ou plutôt, il m’a mis en colère. J’essaye de dire pourquoi.
L’histoire, bien racontée par Xavier, repose sur un ressort jamais épuisé dans le cinéma hollywoodien, le héros solitaire, critiqué par la foule, mais qui va triompher de façon ultime. Il utilise un second ressort, de plus en plus fréquent sous l’influence très importante de Tarantino et des frères Coen à Hollywood, que j’appellerais la violence burlesque (on le voit aussi dans le dernier film de George Clooney, « Bienvenu à Suburbicon », film d’ailleurs qui emporte chez moi la même critique que celui-ci, médiocrité du scénario en plus). Toutes les relations humaines en début de film sont empreintes de mépris, de violence, de haine, mais avec ce qu’il faut de grotesque pour créer la distance, presque l’humour par moment, et les rendre tolérables.
Car c’est cela qui caractérise le film : tous les personnages, bien plantés dans la Bible Belt du Missouri, sont racistes, machistes, stupides. La police est ignoble et grotesque, notamment le personnage central dans le commissariat, un flic de base d’une bêtise sans nom (il est probablement bien placé pour l’Oscar du meilleur second rôle !). Les membres de la famille de l’héroïne, dont le garçon et la fille, sont vulgaires, veules, dans une relation méchante ou lâche avec leur mère. On sent que tous ces personnages sont… trumpiens, dans l’idée qu’on s’en fait ici.
Certains personnages échappent à ce sort : ce sont, significativement dans le climat d’hystérie du politiquement correct qui règne aux États-Unis, le commissaire de police qui vient remplacer celui qui vient de mourir : il est noir. De même, que le jeune garçon qui est le seul à aider matériellement l’héroïne à coller ses affiches : il est noir. Et l’héroïne est une héroïne, c’est-à-dire une femme. On a tout préservé. Tous les autres sont dans l’autre camp.
Tout cela transpire pour moi la condescendance : c’est Hollywood qui se penche avec dédain sur le blanc mâle non qualifié du Middle West. Regardant le film, je comprenais tout à coup pourquoi on peut voter massivement pour Trump en effet, pour ne plus sentir cette arrogance de celui qui a compris le bien-fondé de la libération des mœurs, du respect des minorités, de l’utilité de l’éducation, de l’ouverture au monde, etc.
Les règles du genre sont respectées, bien sûr. Le film se termine bien, au sens où il y a une rédemption progressive des personnages, au fur et à mesure que le seul contre tous triomphe : le fils devient gentil, le flic qui doit mourir le fait avec une certaine dignité, le méchant final, sans doute l’auteur ou le complice du viol, sera sinon puni du moins désigné. Il y a même rédemption du flic de base crétin. Et plus encore, un début de faille et donc d’empathie chez l’héroïne, raide comme du béton armé jusque là. Le sirop d’orgeat coule de partout.
Mais reste le mépris. Reste un mauvais goût dans la bouche sur cette Amérique d’aujourd’hui, capable de faire des films au second degré où elle critique ses turpitudes tout en s’y délectant, parce qu’elles permettent d’afficher la supériorité de ceux qui se tiennent derrière la caméra. D’une certaine façon, l’affaire Weinstein est bien venue, parce que montrant le côté malsain de jeu de miroirs.
Il y a en effet du caricatural dans la caractérisation du flic borné et raciste. Mais dans le film tous les flics ne sont pas bornés et racistes ; et l’héroïne elle-même semble davantage paranoïaque que généreuse. C’est le mouvement (la « transhumance » !) des personnages dans l’intervalle temporel du film qui me semble remarquable.