« Trois visages », film de Jafar Panahi, fait pénétrer le spectateur dans un village rural turcophone du nord-ouest de l’Iran.
Dans « Taxi Téhéran », Panahi emmenait le spectateur à bord d’un taxi dont il était le chauffeur ; il les prenait à témoin des conversations de ses « clients » d’un bout à l’autre de la ville.
C’est de nouveau une voiture qui est le point de référence de son dernier film : un 4×4 qui emprunte la piste en terre conduisant à un village reculé. Le premier visage est celui de Behnaz Jafari, une actrice de séries connue en Iran. Elle a reçu d’une jeune fille du village une vidéo où on la voit au comble du désespoir se pendre dans une grotte. Elle a convaincu Jafar de la conduire jusque là pour comprendre ce qui s’est passé, suicide ou mise en scène.
Cette jeune fille est Marziyeh. Elle veut devenir comédienne. Elle a réussi le concours d’entrée dans une école à Téhéran. Mais ses parents considèrent que le métier de saltimbanque constitue une tâche pour l’honneur de la famille. Ils lui interdisent de partir et entendent la marier à un garçon du village. Marziyeh est le second visage.
Nous ne verrons pas le troisième visage, celui de Sharzad. Celle-ci a été une actrice de renom avant la chute du Chah. Elle est maintenant reléguée comme une pestiférée dans une petite maison à l’écart du village. De nuit, les silhouettes de trois femmes se détachent comme des ombres chinoises : celles de Sharzad, le passé ; de Behnaz, le présent ; de Marziyeh, l’avenir.
Jafar et Behnaz sont accueillis au village comme des héros et des sauveurs : ils vont leur apporter l’eau courante et l’électricité. L’ambiance se refroidit lorsqu’ils parlent d’une jeune fille qui veut devenir comédienne. Mais les deux citadins maintiennent le contact. C’est difficile pour Behnaz, qui parle le farsi et non le turc. Mais de part et d’autre, villageois et visiteurs citadins, on prend le temps de se parler.
Le film peut sembler long au spectateur avide d’action. Mais c’est le temps long qui donne au film sa vérité, parce que c’est le temps des hommes de la terre. Un paysan explique le code de la route très spécial sur une piste à voie unique où l’on ne peut se croiser : la durée et la répétition des coups de klaxon ont une signification précise. Un éleveur veille son taureau blessé, qui barre la piste : il devait le lendemain ensemencer les génisses attendues au marché du village. Un père de famille confie à Behnaz un trésor : le prépuce de son fils circoncis, à remettre à un acteur de Téhéran particulièrement viril.
Panahi regarde ces gens avec un regard amusé, mais pas moqueur. Il s’oppose certes aux traditions qui cantonnent les femmes aux tâches d’intérieur, il pense que son cinéma peut faire évoluer les mentalités. Mais il porte sur les hommes et les femmes du village un regard empathique.