À Bordeaux, le Musée d’Aquitaine présente jusqu’au 30 avril une passionnante exposition intitulée « Tromelin, l’île des esclaves oubliés ».
Le 31 juillet 1761, un navire, l’Utile, chavire sur les récifs de l’Île de Sable, aujourd’hui Île Tromelin, à environ 500km au nord de La Réunion. En théorie, il ne transporte que des vivres et des bœufs achetés à Madagascar pour ravitailler les colonies. En réalité, il a aussi chargé un autre type de marchandise : près de 160 esclaves venus des hauts plateaux de Madagascar.
Pendant le naufrage, 18 marins et près de 70 esclaves se noient. 210 rescapés gagnent à la nage les rives de l’Île de Sable. Celle-ci se présente comme une galette d’environ 1km², presque dénuée de végétation. Bien que l’île soit la partie émergée d’un volcan éteint reposant par 4.500m sur le fond de l’océan, la hauteur maximum est de quelques mètres. On récupère des vivres et des matériaux à bord de l’Utile. On installe un campement. Au prix de grands efforts, on fore un puits par 5m de profondeur, d’où on puise une eau saumâtre.
Le premier lieutenant Castellan fait construire, grâce à des matériaux récupérés sur l’Utile, une embarcation que l’on nomme La Providence. Faute de place, les esclaves, au nombre d’environ 80, sont laissés sur place avec la promesse qu’on viendra les rechercher. Ce n’est que 15 ans plus tard que la promesse est honorée. Sept femmes et un enfant de 8 mois sont sauvés par une expédition commandée par Jacques-Marie de Tromelin.
Plusieurs missions archéologiques ont été menées ces dernières années pour retrouver l’épave de l’Utile et les traces de la vie des survivants sur cette île inhospitalière. Ce sont les objets trouvés pendant les campagnes de fouille qui sont présentées dans l’exposition. Ils témoignent de la rage de vivre – ou de survivre – de ces hommes et femmes abandonnés sur une terre sans végétation, balayée par les cyclones, à l’écart des routes de navigation. Ils ont su tirer le meilleur parti du peu qui était disponible : du bois et des métaux arrachés à l’épave du navire, des tortues, des oiseaux… Les naufragés de Tromelin se sont improvisés bâtisseurs ; ils ont fabriqué des ustensiles et des outils ; ils ne se sont pas laissés vaincre par le désespoir.
Un aspect intéressant de l’exposition est la coexistence forcée entre les marins blancs, qui parvinrent à quitter l’île et à rejoindre Madagascar, et les esclaves noirs qui endurèrent quinze années de survie dans des conditions extrêmes. Dès le naufrage, le destin des uns et des autres divergeait. Voici ce que raconte un marin, Keraudic, des années plus tard : « J’avais attrapé une grande planche de sapin sur laquelle j’étais accroché. Il y avait quelque temps, un noir esclave se noyant, voulut aussi s’en saisir mais deux coups de pieds que je lui donnais finirent de lui ôter ses forces. J’entendis en ce même instant une voix qui me demandait du secours, je me renversais et je vis un matelot tout sanglant qui nageait avec des forces bien abattues droit à moi. Je le devançais, il prit place sur un bout de ma planche et nous faisions nos efforts pour gagner terre. Mais n’avançant pas, les lames m’écrasant et chargé de nager presque pour deux, je lui abandonnais ma planche. »
Le coup de pied du marin à l’esclave trouve son pendant, deux siècles et demi après, dans les propos tenus par la présidente du Front National à Mayotte, à 600km de Tomelin. Elle promet de supprimer le droit du sol, de supprimer les aides sociales accordées aux clandestins et de supprimer la possibilité d’être régularisé quand on est en situation clandestine. « Nous ne leur donnerons rien, ni argent, ni subvention, ni aide sociale, ni papiers ».
L’exposition « Tromelin, l’île aux esclaves oubliés » constitue un poignant hommage à la force d’âme d’humains qui ont su rester en vie dans des conditions inhumaines, et aussi un témoignage de la traite des esclaves dans l’océan indien. Une salle émouvante est consacrée aux planches consacrées par le dessinateur de bandes dessinées Sylvain Savoia à l’épopée des naufragés de Tromelin.
Le blog « Diacritiques » a consacré un bel article à cette exposition que les Bordelais ne devraient pas manquer.