Le refus de Donald Trump de reconnaître sa défaite à l’élection présidentielle américaine rappelle le concept de « vérité alternative » inauguré dès sa prestation de serment.
Le 21 janvier 2017, le porte-parole du nouveau président, Sean Spicer, avait indiqué que la foule présente la veille lors de sa prestation de serment était la plus nombreuse de l’histoire. Que les photos aériennes des intronisations d’Obama et de Trump montrent le contraire n’avait aucune importance. On était prié de croire en la vérité du discours présidentiel.
Tout au long des 4 années de son mandat, le président sortant n’a cessé de répéter qu’aucun de ses prédécesseurs ne lui arrivait à la cheville. Il était si intelligent, si performant, si compétent qu’il fallait être de mauvaise foi pour ne pas le reconnaître. Seuls des communistes, des socialistes et des délinquants pouvaient s’opposer à lui. S’il perdait l’élection présidentielle, cela ne pourrait être que par des manœuvres frauduleuses.
L’autorité électorale a beau se porter garante de la régularité du scrutin du 3 novembre, Trump et les plus fanatiques de ses partisans ne peuvent pas y croire : dans leur système de pensée, il n’est tout simplement pas concevable qu’une majorité d’Américains rejette le meilleur président de l’histoire. Les bulletins de vote, les comptages et les recomptages ne comptent pas : leur vérité, leur vérité alternative, est que Trump a gagné.
La création de « bulles cognitives », ce processus par lequel on se nourrit plus volontiers d’informations qui nous font plaisir plutôt que d’opinions dissonantes, n’est pas nouvelle. Bien avant l’ère d’Internet, les lecteurs du Figaro et ceux de Libération, ceux de La Croix et de l’Humanité lisaient des journaux qui reflétaient et renforçaient leurs propres convictions. Les réseaux sociaux renforcent cette tendance à vivre dans l’entre-soi. Leur immédiateté et leur émotivité favorisent l’impulsivité, rendent difficile la prise de recul.
Les partisans les plus acharnés de Trump « votent avec leur ventre », comme Matteo Salvini le conseille aux électeurs italiens. Ils vivent toute approche critique, toute distanciation, comme une atteinte au « bon sens », comme une trahison des élites.
Dans une interview récente à Télérama, le sociologue Rachid Benzine disait : « le contraire de la connaissance n’est pas l’ignorance mais les certitudes. Et certaines certitudes tuent ». Le Trumpisme vit de vérités alternatives habillées de certitudes. Puisse-t-il ne pas tuer.