Tsunami, roman de Marc Dugain (Albin Michel, 2023), se présente comme le journal intime d’un président récemment élu que des révélations sur sa vie personnelle et l’hostilité de l’opinion à l’égard des réformes qu’il promeut menacent d’un tsunami médiatique qui le contraindrait à la démission.
Cet homme a fait très tôt fortune à la tête d’une start-up qu’il a revendue à un géant américain du numérique. Par manque de projet, et aussi par crainte de l’arrivée au pouvoir des populistes à la suite du mandat écourté du dernier président de la République, il se porte candidat. À la surprise générale, il est élu. Sa proposition d’un revenu universel minimum digital a convaincu des jeunes de voter pour lui. En sous-main, les Gafam ont promu sur les réseaux sociaux l’expression d’opinions favorables à sa candidature et plombé les autres.
Dès les premières semaines, des épées de Damoclès pèsent sur le mandat du nouveau président : des sommes placées dans des paradis fiscaux, la crise de son couple, une paternité cachée, la consommation de cocaïne pendant la campagne.
Mais la principale menace vient des réformes que le président entend mener à bien, quoiqu’elles n’aient pas figuré dans son programme électoral. Il entend « substituer au Sénat une Chambre virtuelle permettant à tous de voter sur les sujets d’importance (…) Je crée ainsi le cadre d’un référendum virtuel permanent. » De Gaulle lui-même était tombé pour avoir voulu réformer le Sénat, ce « temple de la bourgeoisie balzacienne ».
L’autre chantier qu’entend mener à bien le président est la création d’un « passe environnement individualisé ». « Tout ce qui concerne les actes d’un citoyen peut être recensé, collecté et traité par un algorithme, qu’il s’agisse d’achats de biens de consommation, de dépenses d’énergie, d’eau, de déplacements, et tous ces actes créent des données que l’on peut traiter. Raison pour laquelle il est simple d’établir un bilan carbone individuel et donc une responsabilité tout autant individualisée dans la contribution de chacun au réchauffement climatique et à la dégradation de l’environnement. » Dans ce cadre, « chaque produit vendu devra afficher son bilan carbone. »
« Cela permettra en fin d’année de comparer ce bilan individuel à une norme que nous allons fixer et qui donnera lieu à un bonus fiscal ou, dans le cas contraire, à un malus fiscal. »
Les ministres, affolés, cherchent déjà la liste des exceptions qu’on devra accepter sous la pression de « lobbies tenaces et hargneux, dont l’essence même est de plier l’intérêt général à leurs espérances de gain ». Le président de la fédération des chasseurs demande au président d’exempter du passe les chasseurs qui utilisent le dimanche leurs 4×4 polluants. On se prépare à une gigantesque manifestation. On redoute l’usage d’armes à feu. Le président autorisera-t-il la police à tirer à balles réelles ?
Le président rend plaisir « à l’adrénaline du pouvoir, comme le coureur de fond aux endorphines. Je suis sur un ring et je ressens la magie de rester debout malgré les coups qui pleuvent. » Mais il est aussi effrayé par la concentration de ce pouvoir entre les mains d’un seul homme, qui relève « d’une conception fossilisée du pouvoir » : « tout ce qui ne marche pas en France a vocation à échouer sur mon bureau ».
En cinquième République, le président occupe la place du monarque incarnant l’État et parallèlement, dans les faits sinon en droit, il gouverne. « Fini l’omni-président, je veux me restreindre à n’être que la pensée et le sacré. » Son objectif : « réformer le plus loin possible dans l’intérêt général, sans s’interdire de faire descendre les gens dans la rue tout en sachant comment les ramener chez eux. Les Français sont bouillonnants, mais ils refroidissent plus vite qu’on ne le pense. »
Marc Dugain a visiblement de la sympathie pour ce président 2.0. Il partage avec lui l’ordre de priorités qui devrait s’imposer à la politique : le numérique, le climat, la démocratie, en les fusionnant en un unique projet. Il l’aime aussi dans ses turpitudes, ses doutes, ses faiblesses qui le rendent plus humain. Il lui pardonne même la contradiction interne de son programme : la consultation des écrans, dont on sait qu’elle absorbe une quantité d’énergie considérable et croissante, n’est pas prise en compte dans le poids de carbone calculé pour chaque contribuable. On n’a pas le choix, dit le président, qui doit son élection aux géants du numérique.