Un atelier d’écriture avec de jeunes détenus

« Prison, suivi de Écrire en prison », livre publié par François Bon en 1998, est le produit d’un atelier d’écriture animé par l’auteur au Centre de Jeunes Détenus de Gradignan Gironde) l’année précédente.

 Le Centre recevait alors des jeunes de 16 à 25 ans (l’actuel quartier-mineurs du centre pénitentiaire de Gradignan est réservé aux moins de 18 ans). François Bon a animé 20 séances hebdomadaires et a eu affaire à 61 détenus, dont certains ne sont venus qu’à une séance. Il a collecté quelque 250 textes, certains écrits par les jeunes eux-mêmes, d’autres pris sous leur dictée.

 Le livre comporte deux parties. Dans la première, s’inspirant des textes produits par les jeunes, l’auteur s’efforce de mettre des mots sur leurs vies, hors de la prison et en dedans. Dans la seconde, il décrit sa méthode d’animation de l’atelier d’écriture, ses enjeux et les difficultés rencontrées.

Le livre est dédié à Frédéric Hurlin, l’un des participants à l’atelier. « Hurlin. Sans chaussette, un seul pantalon jamais changé, pas d’argent pour un minimum de cantine. Ses montures de lunette cassées. Trois séances avec lui. Un grand corps maladroit qui bouge dans tous les sens, avant de tomber littéralement sur la feuille pendant trois quarts d’heure au papier, avant de me demander de lire. »

 Frédéric Hulin est mort « planté », annonce un surveillant, trois jours après sa libération. « Il ne méritait pas cela ». Il est tombé poignardé par un compagnon de squat. Ce dernier, surnommé Carcasse, est emprisonné. À son tour, il participe à l’atelier d’écriture, posant à l’animateur un problème déontologique insurmontable.

 Le texte de François Bon est d’une grande densité, les mots se bousculent, certaines phrases semblent ne jamais devoir finir. « Tant pis si les mots adviennent alors dans le bruit ou le tourbillon ou la collision, on les acceptera comme ça, dans la violence même que fait leur pauvreté à la grande langue. »

 Son livre parle de souffrance. L’un des détenus écrit : « le rejet est venu très tôt pour moi. » L’animateur invite les participants à l’atelier à rebondir. L’un d’entre eux : « mon enfance ne fut pas facile. La tristesse et la haine me hantaient et me hantent toujours jours et nuit ». Un autre : « depuis des années, je passe mon temps en prison. Je constate que pour le moment j’ai plus de passé que d’avenir. » Un autre encore : « voyager, je cherche voyager, bouger, m’échapper. Il faut que je m’échappe, seul, loin de tout le monde. Il faut que je conduise et c’est comme une nouvelle vie, une vie à moi. Et chaque fois, ça se termine au même endroit (la prison) ».

 Quelques pages sont d’une grande beauté. Un jeune détenu raconte comment derrière les barreaux il contemple la nuit. Son voisin de cellule est lui aussi un solitaire. « C’en est un qui non plus ne parle pas, qui préfère cet agrandissement de la solitude par la nuit, cette illusion où on peut se grandir d’être encore dans un partage du monde, grâce à la nuit et par elle, les barreaux noirs rectangulaires pris alors dans cette même continuité, ne nous séparant plus du monde mais nous y incluant avec eux-mêmes. »

 L’auteur tente de faire travailler le groupe sur le mot « maison ». Mais comment parler d’une réalité que de foyer en institution et en famille d’accueil on n’a jamais connue ? Il souhaite qu’ils amènent des photos d’enfance comme support à des écrits. Mais nul n’a jamais songé à les photographier aux différents âges de leur vie.

 La charité qu’on reçoit comporte en elle-même une stigmatisation qui fait mal. « On a toujours été, avant même l’école primaire, le matériau de ces œuvres et bonnes âmes, le pauvre à aider, à fiche dans un car pour une journée de bonheur à Arès, Andernos ou Le Teich, bien au fond du bassin d’Arcachon. »

 L’auteur s’adresse à des jeunes que la société a séparés d’elle en les emprisonnant. « De ceux que la prison recrache, peu retrouveront les voies du monde », constate-t-il amèrement.

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