Dans « Un carrelet sur l’Île Madame » (les Éditions du Ruisseau, 2022), Jean Bernard-Maugiron, évoque sa passion pour cette île minuscule (moins d’un km²) riche de sa biodiversité et d’une histoire douloureuse.
L’auteur y est propriétaire d’un carrelet, cabane montée sur pilotis équipée d’un vaste filet servant principalement à la pêche du poisson du même nom.
« C’est ici, entre terre et mer, perché sur les 24 poteaux, que j’éprouve la difficulté d’être et partage la joie d’exister, face à l’océan et aux ciels changeants. Je ne cherche pas à « communier » avec une nature divinisée (et encore moins, version branchée, à m’y « connecter »), simplement à être présent au monde, en mon temps et en mon lieu. » L’auteur prend soin de bien observer, « dans les deux sens du mot observer : examiner et respecter. »
À l’observateur attentif, l’île révèle une immense variété de flore et de faune. Jean Bernard-Maugiron énumère les oiseaux : « la huppe d’Europe, la corneille noire, la pie bavarde, le traquet pâtre, le rouge-gorge, le pouillot véloce, l’accenteur mouchet, l’étourneau sansonnet, la linotte mélodieuse, le tadorne de Belon, l’échasse blanche, le hibou moyen-duc, l’alouette des champs, l’hirondelle de cheminée, le merle noir, le rossignol philomène, la fauvette grisette, le roitelet triple bandeau, le pipit farlouse, le verdier, le pigeon ramier, le chardonneret, la bouscarle de Cetti, le bruant zizi, le bruant proyer, l’hypolaïs polyglotte, la fauvette à tête noire et probablement le faucon crécerelle, la cisticole des joncs, la chouette chevêche et le colvert. »
Il faut de la patience pour tirer de cette nature généreuse des plats succulents et les partager avec des amis. « J’avais profité des dernières belles journées, lors de l’été de la Saint-Martin, pour cueillir des baies de cynorhodon (le gratte-cul, fruit de l’églantier), avec lesquelles je prépare laborieusement de la confiture : après s’être écorché à les cueillir, les laver, trier, équeuter, enlever le chapeau noir, les couper en deux, laisser macérer cinq jours dans du vin blanc, cuire une heure, passer à la moulinette, récupérer une cuillère à café de pulpe, enlever peaux et pépins de la grille, recommencer encore et encore, faire chauffer la pulpe avec la moitié du poids en sucre, mettre en pots : compter en tout dix heures de travail pour 1 kilo de confiture. »
Cette île en apparence idyllique a pourtant connu des épisodes dramatiques. En 1794 y furent déportés des prêtres réfractaires. Ils furent entassés sur deux navires négriers, le Deux-Associés et le Washington dans des conditions effrayantes : « les prêtres en haillon exhalent la puanteur, ils ne peuvent se déshabiller, n’ayant pas de place pour bouger. Les poux les rongent. L’air sent l’urine, la merde (…) Dénutrition, plaies purulentes, gale, fièvres, dysenterie, scorbut, pullulation de vermine ». Ils moururent en masse : 254 sont enterrés à l’Île Madame dans un « cimetière des prêtres » marqué par une accumulation de cailloux.
Entre juin 1871 et août 1872, 500 communards furent internés à l’Île Madame, la plupart en attente de leur déportation en Guyane ou en Nouvelle Calédonie. Un « puits des insurgés » garde leur souvenir. Enfin, pendant la première guerre mondiale, des insoumis, en particulier des mutilés volontaires, y furent incarcérés.
L’auteur a dédié son livre « aux réfractaires, aux insurgés, aux incorrigibles ». Dans plusieurs passages, il vitupère contre la société d’aujourd’hui, ses industries polluantes, le saccage de la nature, le pass sanitaire. J’ai ressenti un malaise, comme si la vie quasi-contemplative dans le carrelet relevait d’un exil volontaire ou, osons le mot, d’une désertion.