Un enfant de toi

Le dernier film de Jacques Doillon, « Un enfant de toi », suscite des commentaires contrastés. « Transhumances » l’a aimé.

 Mon ami italien Lionello dit qu’en moins d’une minute, un téléspectateur italien sait que le film sur lequel il vient de zapper est français. Les personnages vivent dans un milieu petit bourgeois indéfini ; ils n’exercent pas d’activité professionnelle ou celle-ci ne compte pas dans leur existence ; ils n’ont pas d’engagement associatif ou militant. Ils n’ont guère d’amis. Ils sont en comme en suspension, hypnotisés par leurs affaires de cœur. Mêmes passionnelles, celles-ci se déroulent au ralenti, de sorte qu’aucun état d’âme n’est épargné aux spectateurs. Les personnages semblent jouer les scènes de leur vie comme des moments de théâtre ; leur élocution comme la bande-son soulignent cette théâtralité.

 Un téléspectateur italien identifierait immédiatement « Un enfant de toi » comme un film typiquement français. Si Victor (Malik Zidi) exerce une profession de dentiste qui le caractérise comme un homme bien comme il faut, son métier se situe dans un compartiment étanche et ne se mêle pas à la seule chose qui compte : réussir le couple qu’il forme avec Aya (Lou Doillon). Aya semble vaguement employée dans une galerie d’art. Louis (Samuel Benchetrit), son ex compagnon et père de leur ravissante et espiègle petite fille Lina (Olga Milshtein), n’a aucune activité professionnelle connue. Aya vit avec Victor mais se demande si c’est avec lui qu’elle fera son deuxième enfant. C’est après plus de deux heures d’interrogations existentielles qu’elle finira par se décider. On comprend que beaucoup de critiques haïssent ce film dans lequel les déchirements amoureux semblent un luxe que seuls des gosses de riches préservés des vraies difficultés de la vie peuvent se permettre.

 Pourtant, j’ai aimé « Un enfant de toi ». D’une séquence à l’autre, les personnages acquièrent une véritable densité charnelle. Aya vit avec Victor, un homme gentil et attentionné, mais elle ne guérit pas de sa relation tumultueuse avec Louis. « Le manque de toi fait partie de moi », lui dit-elle. Elle entreprend de ré-apprivoiser Louis. La caméra nous montre les regards furtifs, les gestes esquissés et non aboutis, les baiser frustrés et ceux qui, brutalement, trouvent la faille. Aya et Louis sont deux félins, mortellement ennemis et mortellement attirés l’un par l’autre. Face à ce couple animal, Victor est un animal blessé. Rien ne lui apporte le confort, pas même la décision – éphémère – d’Aya de ne plus revoir son rival. Quant à Lina, sans l’air d’y toucher, elle s’impose peu à peu comme le véritable maître du jeu dans lequel les adultes s’avancent à tâtons.

 Il n’y a pas d’action dans ce film, mais beaucoup de « transhumances » d’un état psychique à un autre. C’est un film français, un bon film français.

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