Dans « une institution dégradante, la prison », la sociologue Corinne Roustaing décrit les effets délétères de la Prison sur les personnes enfermées et en appelle à une politique qui privilégie la réinsertion sur la neutralisation de ceux qui ont enfreint la loi.
Corinne Roustaing, maître de conférences en sociologie à l’Université Lyon II, travaille depuis trente ans dans le champ carcéral, avec une attention particulière pour les prisons pour femmes.
Le titre de son ouvrage sonne comme un manifeste. La Prison est, selon Corinne Roustaing, une institution dégradante, parce que les tâches qu’elle accomplit sont à l’opposé des valeurs d’une société démocratique. Tout ce que la société valorise, la Prison le dénie à ses sujets. Elle leur impose « une vie de privations : privations de liberté, d’espace, d’intimité, de sécurité, de relations hétérosexuelles, d’accès direct à la nature, d’argent, d’autonomie. »
Les basses besognes
Les tâches exercées par les surveillants, telles qu’avoir recours à la force, enfermer en cellule, fouiller une personne à nu, regarder par l’œilleton, lire sa correspondance, écouter aux portes, sont contraires à la morale en vigueur dans la société. La Prison exécute les basses besognes de la chaîne pénale. Elle « gère les pauvres et les illégalismes populaires ». Beaucoup de prisonniers sont sans qualification professionnelle, en mauvaise santé physique et psychologique. La Prison joue le rôle de voiture-balai de l’exclusion.
Pour caractériser l’institution dégradante, l’autrice oppose la prison à l’hôpital psychiatrique, qui a réussi sa mutation en institution honorable. « Alors que l’asile accueillait vieillards, indigents ou malades mentaux, l’hôpital psy, comme on l’appelle familièrement, a réussi à se recentrer sur les patients atteints de troubles psychiatriques (…) Il aide les patients à aller mieux. »
La prison au contraire « est définie par une activité négative, celle d’empêcher. Le personnel a pour mission d’empêcher les évasions, d’éviter les incidents, de prévenir les suicides. » On assigne à la prison un double objectif : punir ceux qui enfreignent les lois en les neutralisant ; les réinsérer dans la société. Mais comment réinsérer des personnes que l’on enferme à l’écart de la société, dans un univers artificiel dans lequel elles deviennent totalement dépendantes ?
En France, dit Corinne Roustaing, les surveillants représentent 75% des effectifs totaux (30 000 sur 41 000 agents pénitentiaires). Ils sont moins le la moitié des personnels au Canada (42%). Pour elle, la voie à suivre est moins de prison, plus de travail social. C’est aussi le recours systématique à la libération conditionnelle, pour mieux préparer la sortie. Mais elle affiche son pessimisme : « la Prison contemporaine suscite surtout de l’indifférence. Ce sujet est peu mobilisateur : c’est un objet risqué à faibles gains politiques. » Les puissants vont peu en prison, le sujet n’est pas un enjeu pour eux-mêmes.
Une mine d’informations
« Une institution dégradante, la prison » peut dont être considéré comme un livre militant. Mais il regorge aussi d’informations et s’appuie sur une solide bibliographie. On y apprend que 200 personnes sont libérées de prison chaque jour ; que la plupart des élèves de l’École Nationale d’Administration Pénitentiaire (ENAP) ont exercé un métier avant de l’intégrer, et que l’âge moyen d’entrée est de 29 ans ; qu’on estime à 140 000 le nombre d’enfants dont au moins un parent est incarcéré ; ou que certains détenus parlent du transfert vers un autre établissement comme un baluchonnage.
Les réflexions sur le temps en détention sont intéressantes. « L’expérience carcérale en maison d’arrêt, c’est l’ennui et l’attente. » Un sociologue parle de « mécanique du temps vide ». La routine donne l’impression que le temps s’est ralenti. Mais c’est une impression de « temps accéléré » qui saisit le sortant de prison, « avec les changements de mode, les progrès technologiques, l’immédiateté de la communication ».
Reconstruire l’image de soi
J’ai aimé aussi la caractérisation des parcours en prison en trois carrières-types. La carrière glorieuse, celle du grand-banditisme et de la militance politique ou religieuse ; la carrière laborieuse, dans laquelle les protagonistes cherchent, jour après jour, à se reconstruire ; et la carrière honteuse, ou piteuse, qui est celle du plus grand nombre, marquée par « une attaque massive à l’image de soi », la rupture des liens familiaux et sociaux et la précarité.
La référence aux bénévoles en prison n’intervient qu’à la page 266 de l’ouvrage, et uniquement sur le registre « occupationnel » : ils aident les détenus à tuer le temps, et ce faisant ils atténuent la violence lente, par usure, de l’enfermement. Quant aux visiteurs de prison, ils sont tout simplement absents du livre, à croire que la sociologue n’en a rencontré aucun en 30 années d’investigations. Ils jouent pourtant un rôle non négligeable dans la reconstruction de l’estime de soi, qui permet aux personnes détenues de se projeter vraiment dans l’après-prison.