Michelle Soullier a été visiteuse de prison et animatrice d’un atelier d’écriture dans une prison en Ardèche de 2014 à 2019.
Elle fait part de son expérience dans un livre que j’ai trouvé magnifique : « Figures & figurants, rencontres de parloirs » (Éditions Baudelaire, 2021). Elle y brosse le portrait d’hommes détenus rencontrés, et cite des textes produits dans l’atelier d’écriture.
En quatrième de couverture, elle présente sa démarche dans un texte qui me semble caractériser très exactement la manière dont je vois, moi-même, mon rôle de visiteur de prison. « La prison en tant que visiteuse, ce sont des rencontres avec des personnes dont je n’aurais sans doute jamais croisé le chemin sans cette démarche. Une aventure humaine qui n’a rien à voir avec une quelconque intention de sauver des êtres en perdition. Ça ne se situe pas sur ce registre-là. Non, ma motivation, c’est plutôt le goût de l’altérité, cette différence qui nous enrichit, nous fait bouger dans nos certitudes. Des tranches de vie se racontent, des visions du monde s’échangent, sans vouloir convaincre, sans chercher à savoir qui a raison ou tort, une invitation à évoquer ce qui pèse, à le formuler, l’entendre autrement, et parfois en rire. »
En 2018, elle racontait son expérience de visiteuse dans une vidéo de Solitour
La bonne distance
On dit souvent que le visiteur de prison doit trouver la « bonne distance », empathique mais sans naïveté, proche mais attentif à ne pas se faire manipuler. Michèle Soullier s’amuse de cette exigence contradictoire.
« Et la bonne distance, c’est quoi la bonne distance ?
La largeur de la table ? »
L’autrice brosse un portrait des personnes rencontrées. Beaucoup ont été malmenées, voire fracassées par la vie. Elle parle de Christophe. « Il me raconte qu’enfant, il se sauvait toujours du foyer pour retourner chez ses parents. Même s’il était battu, il voulait rester chez ses parents. A la fin, il n’avait même plus mal, d’ailleurs. »
Elle évoque João. « C’est l’histoire d’un adolescent de quatorze ans, Angolais, qui rêve d’une autre vie, qui rêve d’Europe. » À mesure que s’écoulent les mois en détention, il voit ses espoirs s’effilocher. « Je le sens désespéré. Je dis :
qu’il ne faut pas avoir honte,
qu’il est jeune
qu’il aura une deuxième chance
que tout le monde peut faire des bêtises. C’est comme ça qu’on apprend la vie,
qu’il faut y croire.
Il répond : merci. »
Le bruit des clés, le bruit du vide
Michèle Soullier décrit le calvaire en détention d’Armand, un Réunionnais qui a pris dix kilos depuis qu’il est incarcéré. « C’est pas à cause de l’alcool ! C’est la sédentarité et la nourriture. » Il sera hospitalisé en psychiatrie après une tentative de suicide.
La visiteuse se dit athée, et ses discussions avec Aziz ne sont pas faciles. « Et l’on reparle de religion et il recommence son prosélytisme. Sans doute, ça lui fait du bien d’essayer de me convaincre. Sans doute gagne-t-il des points pour l’au-delà. »
Elle cite des poèmes produits dans l’atelier d’écriture.
Aujourd’hui encore
Le bruit des clés, le bruit du vide
Et le son de ta voix ;
L’odeur de la cellule, l’odeur de l’air,
Et celle de ton parfum…
Et celui-ci :
Deux ans oublié des hommes et de Dieu
Je l’ai déjà vécu, oui, mais j’étais jeune
Comme la fleur, je tombe et je jaunis
J’ai peur que mon âme à jamais s’oublie
Mais je me débats, dehors m’attend la vie.
Entre bénévoles et professionnels
Michelle Soullier a cessé son activité en prison. L’une des raisons tient à l’ambigüité qu’elle ressent dans la position des bénévoles face aux professionnels, en particulier les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP. Un jour, on lui demande de rencontrer Bruno, qu’elle juge fourbe et pour qui elle n’éprouve aucune sympathie. A-t-elle un devoir d’empathie ? « Ce que le professionnel est obligé de faire, parce que professionnel, le bénévole n’y est pas tenu, lui, que je sache ! Pas obligée de voir des gens que je n’ai pas envie de voir… Aujourd’hui, on veut des bénévoles professionnels. La professionnalisation du bénévolat est le corollaire de la déliquescence des services publics. Aujourd’hui, le visiteur paye les restrictions de personnel dans la pénitentiaire et les services sociaux. »
Plus loin, elle développe sa pensée. « Et puis il y a toutes ces questions sur le sens du bénévolat. Ce sentiment d’une complicité naïve avec un système qui utilise nos bonnes consciences de citoyens pour colmater ses manquements et ses failles. La solidarité et l’entraide, c’est bien l’essence de l’humanité, mais dans une démocratie (digne de ce nom), c’est à l’État avec ses services publics que revient avant tout cette mission ! »
J’ai trouvé passionnant le livre de Michèle Soullier, et j’aimerais restituer aussi bien qu’elle les histoires dans lesquelles les personnes détenues que je visite me font entrer. Je crois que la relation entre les professionnels et les bénévoles relève d’un équilibre toujours difficile à trouver, en particulier lorsqu’on est en présence d’une grande différence d’âge et d’expérience ou de niveau d’études. Mais ayant vécu en Grande-Bretagne, où les bénévoles, notamment les retraités, jouent un rôle de premier plan, je ne pense pas que ce soit à l’État de prendre à sa charge, à lui seul, la solidarité et l’entraide. Il me semble que la réduction du temps de travail des actifs et le plus grand nombre de retraités constituent une opportunité que nos sociétés ne devraient pas gâcher, dès lors qu’on est au clair sur ce qu’on attend des bénévoles d’une part, des professionnels de l’autre.
Ce débat revient régulièrement sur la table lors des rencontres de visiteurs de prison. Il demande à être approfondi, hors de tout a priori idéologique, en dialogue avec les professionnels eux-mêmes.