Art26 avril 20130Le désir du non nécessaire

 

Dans La Repúbblica du 8 avril 2013, Natalia Aspesi a réalisé une intéressante interview de Karl Lagerfeld. Celui-ci affirme que sa seule tâche est de créer du désir pour ce qui n’est pas nécessaire.

 Karl Lagerfeld est venu à Milan à l’occasion d’une exposition de photographies organisée par la marque Chanel dont il est directeur créatif depuis 1983. Intitulée « the little black jacket », cette exposition présente, selon Natalia Aspesi, « les femmes les plus intéressantes du monde, les bébés les plus aristocratiques, les hommes les plus attractifs ». Lagerfeld apparait comme une icône par excellence, affirmant son image sans souci de contemporanéité, rendu éternel et sans âge par son refus du temps qui passe.

 Pendant l’interview, Lagerfeld utilise fréquemment son mini i-pad. Il montre à la journaliste une caricature qu’il a dessinée des politiciens italiens, un dessin qu’il a réalisé de Steve Jobs peu après sa mort, une photo de Choupette, sa chatte birmane.

 Karl Lagerfeld regrette qu’en France se soit perdu le sens de la légèreté, de la conversation brillante et de l’ironie intelligente qui régnait au dix-huitième siècle. « Aujourd’hui, si l’on dit quelque chose qui ne soit pas ennuyeux et politiquement correct, on déclenche des polémiques encore plus ennuyeuses et incorrectes ». Il vénère le peuple de la frivolité et du luxe. Que ce soit chez Chanel, où il défend l’élégance française suprême et éternelle, ou bien chez Fendi, où il promeut une image de l’Italie moderne et dynamique, Lagerfeld ne se reconnait qu’une tâche : créer du désir pour ce qui n’est pas nécessaire.

 Lagerfeld admire l’inclination du pape François pour les pauvres, mais considère comme une bénédiction l’existence de l’opulence, celle de gens très riches qui vivent dans les pays émergents mais savent bien que le vrai luxe est européen, « grâce à de grands artisans, les artistes du cuir, du tissu, de la broderie, les maîtres de la délicatesse formelle, de la grâce créative ».

 Lagerfeld dit son admiration pour le grand siècle français. Il raconte qu’à l’âge de six ans, dans son Allemagne natale, il récitait déjà de mémoire tout Racine. Il aime les œuvres de Bossuet, théologien défenseur de l’absolutisme monarchique de droit divin.

 Il explique que malgré une vie trépidante, il éprouve le besoin de solitude, spécialement pour travailler et lire. A la maison, les domestiques n’entrent que lorsqu’il est absent. « Je déteste la vie conjugale et je n’ai qu’un grand amour, ma petite chatte : c’est une présence merveilleuse, douce, fuyante et surtout silencieuse ». Lorsque Karl est à Paris, Choupette et lui déjeunent à la même table, tous les deux seuls, serviette blanche et plats d’argent. Et la nuit venue, Choupette se love dans les draps fraîchement repassés du grand lit de son maître.

 Je ne suis pas du même monde que Karl Lagerfeld et ne partage pas ses idées. Mais il est incontestablement une personnalité marquante de notre époque.

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