Livres22 novembre 20100Budapest

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La Royal Academy of Arts présente une belle exposition intitulée « Tresors of Budapest ». Je donne à cette occasion un compte rendu du beau roman du brésilien Chico Buarque (Chico Buarque, Budapeste, Dom Quixote, 2003. En portugais brésilien).

« Il devrait être interdit de railler celui qui s’aventure en langue étrangère ». Le livre de Chico Buarque nous parle de l’ambiguïté  du langage. Son héros s’y trouve doublement confronté. Ecrivain public, il s’approprie le style, les mots et même la biographie de ses clients,  mais les textes qu’il écrit ne portent pas sa signature. Brésilien, il relève le défi de parler un hongrois irréprochable, mais souffre du résidu d’accent étranger que l’on discerne jusque dans sa prose.

José Costa vit à Rio et est écrivain public. Il écrit pour le compte d’autrui articles de journaux, discours, dissertations, lettres d’amour et biographies. « Voir mes œuvres signées par des étrangers me donnait un plaisir nerveux, une sorte de jalousie à l’envers. Parce que pour moi ce n’était pas le sujet qui s’appropriait mon écrit, c’était comme si j’écrivais dans son cahier à lui ».

Une escale technique inopinée l’immobilise pour une nuit dans un hôtel de Budapest. Il reste éveillé devant  la télévision, fasciné par cette langue magyare dans laquelle l’accent tonique est toujours placé sur la première syllabe, un peu comme un français à l’envers. Insatisfait de sa vie à Rio, entre sa femme Vanda, présentatrice à la télévision et son fils Joaquinho, obèse et quasi-muet, marginalisé au sein de l’agence culturelle qui l’emploie et dont il fut co-fondateur, José décide de partir pour Budapest. Il fait la connaissance de Kriska, grande jeune femme qui se déplace sac au dos dans la ville en patins à roulettes. Kriska lui enseigne le Magyar et lui révèle son corps. « Elle se dévêtit. Jamais je n’avais vu un corps si blanc de toute ma vie. Sa peau était si blanche que je ne savais comment la prendre, où installer mes mains ».

De retour à Rio, José a perdu ses repères. La biographie qu’il a écrite quelques mois plus tôt pour le compte d’un minable aventurier allemand débarqué au Brésil est devenue un best-seller, que son présumé auteur a le mauvais goût de dédicacer à Vanda. Il revient à Budapest. Logé par Kriska dans la remise de son appartement, maltraité, il trouve un emploi comme appariteur au Cercle des Belles Lettres, chargé de préparer la salle pour les débats et de les enregistrer. Pendant des mois, son passe-temps est de transcrire les enregistrements et de les faire corriger par Kriska, jusqu’au jour où celle-ci juge son travail irréprochable.

José devenu « Kostá »·s’annonce alors comme écrivain public à Budapest. Il écrit pour un écrivain hongrois renommé mais à court d’inspiration, sans que celui-ci le lui ait demandé, un poème épique qui devient un immense succès de librairies et de salons. Mais Kostá est mortifié lorsque Kriska lui confie son avis sur ce livre : « couci-couça. Il y a des gens qui aiment l’exotique. C’est comme si ce livre avait été écrit avec l’accent étranger ».

Expulsé de Hongrie à la suite d’une coterie d’écrivains jaloux, devenu étranger dans son propre pays, le destin de José bascule quelques mois plus tard. Il est rappelé en Hongrie et invité en grande pompe par une célèbre maison d’édition. Il est fêté et adulé pour sa biographie intitulée « Budapest », signée de son nom mais œuvre d’un auteur anonyme. José Costa, alias Kostá, est pris à contre-pied. Un autre a écrit sur le cahier de sa vie, et celle-ci échappe à son contrôle. Kriska lui fait lire et relire le livre, qui se termine de la même manière que la biographie de l’aventurier allemand : « et la femme aimée, de qui j’avais déjà bu le lait, me donna à boire l’eau avec laquelle elle avait lavé son chemisier ».

Illustration : « deux femmes s’embrassant » d’Egon Schiele, 1914, tableau présenté à l’exposition « Treasures of Budapest » de la Royal Academy of Art.

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