PolitiqueSociété26 novembre 20160Craquements

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le référendum sur le Brexit en Grande-Bretagne et le rejet par le peuple colombien du plan de paix avec la guérilla révèlent et accentuent de profonds craquements qu’il faut comprendre pour agir.

Il faudrait ajouter à cette liste de consultations populaires à l’issue catastrophique le rejet par le peuple français, en 2005, du projet de traité constitutionnel qui aurait doté les institutions européennes d’une véritable légitimité démocratique. Les forces telluriques à l’œuvre dans ces craquements sont connus.

Il y a la formidable colère de groupes sociaux qui se sentent déclassés, fragilisés, précarisés, et sont convaincus que leurs enfants auront une vie encore plus difficile que la leur. Si l’occasion leur est donnée d’exprimer leur ras-le-bol, ils donnent un grand coup de pied dans la fourmilière, convaincus que demain ne peut être pire qu’aujourd’hui.

Donald Trump

Refus de la complexité et du temps long

Cette colère s’exprime sous la forme d’une haine des élites, journalistes, magistrats, parlementaires, accusés en bloc de servir leurs intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général.

Il faut aussi évoquer les dérives des réseaux sociaux : la priorité à l’émotion sur la réflexion, l’exaltation de l’instant et la peur du temps long, le déni de la complexité, la création de bulles cognitives dans lesquelles on n’entend que ce qu’on souhaite entendre à l’abri de l’inconfort de positions contradictoires.

Cette culture est propice à l’expression péremptoire de mensonges qui ne sont jamais démentis, en tout cas jamais avant le vote. Les mensonges de Donald Trump et des partisans du Brexit ont été largement commentés, sans changer l’issue des scrutins. Le président colombien, José Manuel Santos, disait au Monde à propos du référendum sur la paix dans son pays : « certains ont délibérément utilisé le mensonge. Je vous donne un exemple. Les partisans du non ont répandu l’idée que la théorie du genre était « encryptée » dans le texte de l’accord. Les Églises évangéliques et l’Église catholique ont donc fait campagne pour le non. »

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La députée travailliste Jo Cox, assassinée pendant la campagne sur le Brexit

Des conséquences redoutables

Les conséquences des politiques qui se mettent en place sont redoutables.

L’installation de barrières protectionnistes par certains pays s’accompagnera de représailles. Il y aura de nombreux perdants, et il n’est même pas sûr qu’il puisse y avoir des gagnants.

Le refoulement des immigrés provoquera une crise humanitaire massive, dont s’accommoderont les populistes. Mais il générera surtout une frustration criante, qui sera le combustible de nouvelles vagues de terrorisme. Aucun mur ne sera assez haut, assez épais, assez électrifié pour y résister. Le durcissement de l’approche pénale et le recours accru à l’emprisonnement auront le même effet.

Enfin, le reniement des accords sur le climat, annoncé par le président-élu Trump et déjà en germe dans les positions de politiciens français, fait peser sur les générations futures une menace immédiate et terrible.

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Accord de paix en Colombie, refusé par référendum

Que faire ?

Face à ces craquements, que faire ?

Les appels à « entrer en résistance » abusent probablement de la connotation historique de ce mot. Sous l’occupation nazie, il signifiait désobéissance civile, action clandestine, lutte armée. Nous n’en sommes pas là, heureusement.

Mais la résistance est bien l’esprit qui doit nous animer. Refuser l’érection de murs et le retour des frontières. Consommer des aliments biologiques de saison, choisir ceux qui ont le moins de coûts de transport incorporés. Favoriser l’accueil et l’intégration des immigrants. Encourager la diversité dans les quartiers, à l’école, dans les lieux de culture. Promouvoir la tolérance entre les adeptes de religions différentes et entre ceux-ci et ceux qui n’ont pas de religion. Agir pour que la prison soit vraiment une sanction de dernier recours. Refuser le blâme des élites, accepter que les décisions politiques intègrent la complexité et le temps long.

Ceci n’est certainement pas un programme politique. Seulement une boussole pour conduire au mieux notre métier de citoyens.

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Vitrail de Guy Lefèvre

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