LivresMonde ArabeThéâtre3 avril 20150Driss Ksikes, citoyen critique

L’Université Bordeaux Montaigne a récemment organisé une rencontre avec Driss Ksikes, écrivain marocain d’expression française qui se présente lui-même comme « citoyen critique ».

 Âgé de 47 ans, Driss Ksikes a partie liée avec l’écriture. Il écrivit d’abord dans des journaux comme critique littéraire et dirigea une revue, Tel Quel. Comme journaliste, il s’est intéressé à une grande variété de sujets, de la littérature à la politique et à l’économie.

Driss Ksikes
Driss Ksikes

Sa première passion, toutefois, est pour le théâtre. Au théâtre, dit-il, l’auteur est au contact des énergies qu’émettent les acteurs, la salle et le bois même de la scène. Ses pièces abordent des sujets de société tels que les violences faites aux femmes (« pas de mémoire… mémoire de pas ») ou le tabou du suicide dans la société marocaine (« le saint des incertains »).

 Le voile et la peur

 Dans « 180 degrés », pièce que viennent de publier les Presses Universitaires de Bordeaux à l’initiative d’Omar Fertat, c’est la question du voile qu’il met en scène. Un photographe fait un reportage sur une femme vêtu d’un voile intégral (burqa). Un jeu de séduction mutuelle s’engage entre ce couple improbable : vont-ils « se dévoiler » l’un à l’autre ? Des voisins les observent, prennent position, parient… Le spectateur observe la scène, sur laquelle des voisins observent un photographe qui observe la femme à la burqa qui s’observe elle-même. « La vie est ainsi faite, dit Ksikes, des regards croisés jusqu’à l’infini. »

 Pourquoi la femme se voile-t-elle ? Pourquoi dérobe-t-elle son corps aux regards, pourquoi le rend-elle absent ? Préfère-t-elle se retirer pour ne pas buter sur un monde hideux ? « Es-tu croyant ? » demande la femme au photographe. « Je crois au doute, répond celui-ci, le doute m’aide à rester transparent sans voile ni masque ». Et la femme de commenter : « la peur est un voile plus épais que le voile apparent ».

 Le rire est dangereux

 Driss Ksikes a quitté le journaliste à la suite de l’affaire Nichane, une revue en langue marocaine qu’il avait lancée en 2006. L’un des premiers numéros avait pour titre « Blagues : comment les Marocains rient de la religion, du sexe et de la politique ». Le rédacteur en chef et une journaliste furent condamnés à un temps de prison avec sursis et à une amende. Au Maroc le rire est considéré comme une grave menace à l’ordre établi. On a vu, en France aussi, qu’il pouvait condamner à mort humoristes et caricaturistes.

 Son dernier livre, « l’homme descend du silence », Driss Ksikes l’a sous-titré « récit », car il n’entre pas dans des catégories connues, roman ou autobiographie. C’est un travail sur l’écriture, dans lequel l’auteur essaie de découvrir le flux secret de sa vie à partir de fragments : « l’universel se niche dans le fait divers », disait Dostoïevski.

 Le livre prend son titre de quelques vers d’un poète inconnu :

« L’homme descend du silence

Seul, la parole soufflée le traverse

Le pas alerte, son corps le quitte

Et succombe au chaos. »

Travail sur l’écriture

 Comment aller de l’avant dans la vie lorsque l’utopie devient un souvenir et ne peut plus donc être un horizon ? « Comment vivre sans inconnu devant soi » ? demandait René Char. L’œuvre de Driss Ksikes tutoie l’absurde, le chaos et la désespérance. Pourtant, il tient debout et avance grâce à l’écriture : l’écriture que l’on reçoit d’autres qui nous nourrissent (Salah, Darwich, Maalouf, Joyce, Conrad, Camus…) ; et l’écriture que l’on ciselle pour qu’à leur tour des lecteurs en fassent leur lait et leur miel.

 La littérature, dit Ksikes, est le lieu du doute, de la pluralité, de l’interrogation et de la beauté. Il faut, dit-il, ritualiser des lieux et des moments de culture, donner des rendez-vous réguliers à ceux et celles qui veulent ensemble créer un « espace commun » où peut se construire la décision politique, différent de « la société de cour » dont l’enjeu est de se rapprocher des gens influents. À cet égard, la société marocaine a encore du chemin à parcourir. Mais le combat mérite la peine d’être mené.

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