LivresSociété22 juin 20170La pensée extrême

Dans « La pensée extrême, comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques » (PUF 2016), Gérald Bronner s’attache à comprendre les mécanismes cognitifs qui conduisent au fanatisme, de manière à pouvoir les démonter.

 Il est courant de considérer que les extrémistes (par exemple les fanatiques religieux pratiquant le terrorisme) sont des êtres primitifs, irrationnels et dénués de culture. Or, souligne Bronner, c’est bien souvent l’inverse : ils ont fréquemment un niveau universitaire, sont bien intégrés socialement et exercent un métier qualifié. Comment, dès lors peuvent-il dériver vers l’extrémisme ?Pour Bronner, l’extrémisme se caractérise par la croyance inconditionnelle (sans réserve) en un énoncé faiblement transsubjectif (qui ne peut être exporté aisément vers d’autres individus). Il cite plusieurs de ces énoncés : « nous devons respecter les prescriptions divines », « ma collection de timbres a plus de valeur que ma vie familiale », « le principal désormais est d’atteindre un état de conscience supérieur », « rien n’est plus important que la révolution ». Etc.

En Allemagne, la Bande à Baader

 

La croyance en Dieu, candidate idéale pour imposer l’extrémisme

Le fanatisme n’est donc pas uniquement d’essence religieuse, bien que Bronner reconnaisse que « la croyance en Dieu, en particulier s’il est conçu comme unique, est une candidate idéale pour imposer l’extrémisme : elle est irréfutable et justifie absolument tout dans la mesure où, si Dieu existe, c’est lui qui fonde les règles du réel, la notion de morale etc. Se référer à un concept absolu favorise l’incommensurabilité entre les valeurs qu’il est censé inspirer et celles qui prévalent dans l’esprit du citoyen ordinaire. »

Bronner insiste sur l’importance des croyances. On les croyait condamnées par l’avancée des sciences. Au contraire, observe-t-il, elles ne cessent de prendre de l’importance. Il évoque la pensée de Blaise Pascal : à mesure que la « sphère du connaître » progresse, la surface de contact avec ce qui est inconnu progresse aussi.

Il indique comment internet favorise la transmission des croyances : « grâce à la fluidification des rapports sociaux que permet internet, nous pouvons créer facilement des îlots d’homogénéité cognitive, même si l’objet social de notre intérêt est rare dans l’espace social. Il en va de même pour les idées radicales : internet permet de lever la difficulté de leur rareté géographique. »

Aux Etats-Unis, les ségrégationnistes

Le pari de Pascal

Il mentionne aussi le pari de Pascal : si le gain espéré (les vierges dans le paradis) est incommensurable avec ce que l’on perd ici-bas, n’est-il pas plus rationnel de croire, avec une espérance de gain infinie pour un coût limité, plutôt que de douter ?

L’incommensurabilité est un concept clé. « La commensurabilité mentale, écrit Bronner, c’est-à-dire la capacité qu’a tout esprit à être corrompu, à mettre en balance ses intérêts et ses valeurs, voire ses valeurs entre elles » est la condition de toute vie sociale. L’originalité, souvent malheureuse, de l’extrémiste, est de considérer comme non négociables des croyances qui ne peuvent constituer le ciment de la vie sociale.

Bronner met à jour certains mécanismes de la fanatisation. Les premiers pas sont timides, progressifs : « entrer dans une secte, c’est comme gravir un escalier dont les premières marches sont toutes petites ».

Assassinat du président Sadi Carnot par l’anarchiste Caserio en 1894

Quand rétropédaler devient difficile

 Un jour se produit une rupture. Soudain, l’individu a le sentiment d’avoir mis de l’ordre dans sa vie, d’avoir laissé derrière lui la confusion mentale. S’il vivait dans la frustration et la délinquance, il a le sentiment d’une nouvelle naissance, de « pénétrer dans le temple de la pureté le lavant ainsi de tous les péchés et les humiliations »

Rétropédaler devient alors très difficile. Le biais de confirmation s’impose : « en faisant la publicité de ses idées, l’extrémiste s’offre à lui-même l’opportunité de contempler à chaque instant l’inexpugnable forteresse argumentaire dans laquelle il s’est enfermé ».

Comment convaincre un extrémiste de revenir à une conception pluraliste de la vie des idées, selon laquelle valeurs et intérêts sont commensurables ? Gérald Bronner explique qu’il ne faut surtout pas chercher à démonter la logique de ses arguments, mais au contraire se montrer intéressés. C’est dans le noyau de croyances inconditionnelles, dans la citadelle inexpugnable qu’il faut, patiemment, peu à peu, infiltrer l’eau qui un jour ouvrira des crevasses.

 

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