Justice11 janvier 20183Le contresens de l’encellulement individuel

Le programme de construction de nouvelles places de prison est justifié par le principe de l’encellulement individuel, inscrit dans le code pénal par une loi du 5 juin 1875.

Le gouvernement actuel a repris à son compte le programme de 15 000 places de prison nouvelles, tout en l’étalant sur deux législatures. Il est présenté comme une solution à la surpopulation carcérale. Par respect pour la dignité des détenus, il faudrait mettre fin à « l’incantation séculaire » du droit à l’encellulement individuel et, pour cela, construire.

Mais interpréter une loi de 1875 avec les cadres de pensée de 2018 conduit à un contresens. En effet, la loi de 1875 n’avait nullement pour objectif l’amélioration des conditions de détention. Son objectif était « l’emprisonnement cellulaire ». Il s’agissait de placer à l’isolement les prévenus et les condamnés à de courtes peines, de manière à les prémunir du risque de contagion de la part de délinquants dépravés et de criminels endurcis.

Célébration de la messe dans la chapelle de la prison de Fresnes en 1976

Cet isolement était total, jour et nuit. Le travail devait être effectué en cellule, ce qui ne manquait pas de poser des problèmes d’organisation. Le silence était imposé : il était interdit de se parler entre détenus. La chapelle elle-même était organisée en stalles ne permettant de voir que l’officiant, et en aucun cas les autres détenus.

Le modèle était bénédictin : il s’agissait d’amener le détenu à la contrition en le laissant méditer dans la solitude. Lors des déplacements, toujours individuels, le port du capuchon, autre attribut monastique, était fréquent.

L’emprisonnement cellulaire n’était pas considéré comme un acte d’humanité, mais au contraire comme une terrible contrainte. C’est si vrai qu’une réduction de peine d’un quart de la durée encourue était automatiquement appliquée aux détenus ainsi privés de vie sociale. Et il était demandé au personnel, les « gardiens » comme les aumôniers, de redoubler d’attention et de présence auprès d’eux.

Les enfants incarcérés par décision du juge ou de leur père (« correction paternelle ») étaient, eux aussi, confinés en cellule. Dans les débats préparatoires au vote de la loi du 5 juin 1875, l’Abbé Crozes estimait que « l’homme ne peut guère rester plus d’un an dans une cellule, mais l’enfant supporte facilement l’isolement, surtout quand il n’a pas encore 16 ans ». Un autre député, M. de la Caze, estimait au contraire que « éliminer le jeu de la vie d’un enfant, placer ce petit être dans une cellule avec une lucarne pour voir l’air et un banc de pierre pour s’asseoir solitairement, c’est, selon moi, un acte inhumain ». Il ajoutait « quand on enferme un enfant, il faut bien empêcher la corruption de pénétrer dans la cellule, mais il ne faut pas empêcher la vie de passer. »

Chapelle cellulaire à la prison pour enfants de la Petite Roquette en 1939

Justifier en 2018 la construction de nouvelles prisons par le respect d’une promesse d’humanisation vieille de quatorze décennies relève donc d’une mystification. Dans sa lettre au futur ministre de la justice, « partageons une ambition pour la justice » (18 avril 2017), l’ancien Garde des Sceaux Jean-Marc Urvoas donnait d’ailleurs une autre raison à l’encellulement individuel : « au né­cessaire respect de la dignité des conditions de détention s’ajoute maintenant l’impé­ratif de lutte contre la radicalisation vio­lente, l’encellulement étant l’un des outils pour éviter le risque de basculement vers le fanatisme des personnes incarcérées et de propagation de l’idéologie terroriste. »

Il s’agit donc des isoler. Ce qui est plus proche de l’esprit de la loi de 1875 que le souci d’humaniser les prisons. Peut-être pourrait-on demander aux personnes détenues les mesures qu’elles souhaiteraient voir appliquées pour améliorer leurs conditions de détention. Il n’est pas certain que le bénéfice d’une cellule individuelle vienne au premier rang. Une activité rémunérée, l’accès au téléphone et à Internet en cellule et un accompagnement effectif à la sortie pourraient se révéler plus populaires !

3 comments

  • Benoît

    15 janvier 2018 at 8h50

    Merci, Xavier, d’apporter un éclairage intéressant sur cette question épineuse.
    Je pense,comme toi, qu’il vaut mieux laisser le choix aux condamnés (exception faite des gens dangereux) d’être en cellule individuelle ou à plusieurs. Mais être à plusieurs implique que la cellule soit dimensionnée pour plusieurs. Je ne crois pas que les projets du gouvernement soient autres. Il s’agit ni plus ni moins de mettre fin à des situations d’entassement qui sont »inhumaines » et dangereuses.

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  • François Meunier

    14 janvier 2018 at 23h15

    Beau papier. Mais on aimerait savoir la position de l’auteur : l’isolement par des cellules individuelles est-il une atteinte à l’intégrité de la personne, ou au contraire le respect de sin individualité ?

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  • Garcin

    14 janvier 2018 at 22h18

    Pour une fois, je serais assez d’accord avec toi sauf bien sûr pour nos radicalises et autres islamistes fanatiques

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