Société27 février 20120L’effondrement de l’empathie

Dans The Guardian du 16 février, Suzanne Moore nous prévient de l’effondrement de l’empathie. Maintenant, dit-elle, au lieu d’être dégoûtés par la pauvreté, nous sommes dégoûtés par les pauvres gens eux-mêmes.

 Suzanne Moore se réfère à l’émission « Panorama » (l’équivalent britannique d’Envoyé Spécial) diffusée sur BBC1 le 13 février et consacrée à la pauvreté aux Etats Unis. « Des gens vivent dans des tentes ou en sous-sol dans des égouts. Ces gens horribles, avec des ulcères, des hernies et de mauvaises dents, sont le revers du rêve américain. Les arbres poussent dans des bâtiments publics ou des usines abandonnées pendant que des candidats républicains claironnent sur des réductions d’impôts au profit des 1% de personnes possédant 25% de la richesse. Voir rejouer les Raisins de la Colère dans des paysages urbains post-apocalyptiques est effrayant. Il faut une forte dissonance cognitive pour sonner la trompette pour les riches alors que 47 millions de citoyens vivent dans des conditions proches de celles du monde en développement ».

 De fait, l’émission faisait peur, par la réalité qu’elle plaçait sous nos yeux : des gens vivant dans leur voiture ; des enfants avouant qu’il leur arrivait de se coucher sans dîner ; une foule de gens attendant dès quatre heures du matin que s’ouvre une consultation médicale gratuite dans un gymnase où des dizaines de généralistes, de dentistes et de chirurgiens reçoivent des patients sans presque aucun espace privé ; des gens vivant sous des tentes dans la boue ; et des politiciens républicains affirmant qu’on exagère beaucoup la réalité de la pauvreté et qu’il ne tient qu’aux pauvres de se prendre en mains et de réagir.

 C’est cela que dénonce Suzanne Moore : « tous ces gens sans espoir, d’où viennent-ils ? Il est, bien sûr, toujours possible de ne jamais réellement les voir, tant leur détresse est déprimante. Qui a besoin de les voir ? La pauvreté, nous dit-on souvent, n’est pas « réelle » parce que les gens ont des téléviseurs. L’érosion graduelle de l’empathie est le triomphe d’un climat économique dans lequel chacun, dépendant d’une drogue ou non, est personnellement responsable pour son manque de réussite. Les pauvres ne sont pas seulement des gens comme nous, mais avec moins d’argent : ils sont d’une espèce totalement différente. Leur pauvreté est un échec personnel. Ceci ne s’applique maintenant plus seulement à des individus mais à des pays entiers : regardez les Grecs ! A quoi pensaient-ils avec leurs retraites et leur salaire minimum ? Qu’ils étaient comme nous ? »

 L’apparition dans la campagne présidentielle française, de l’idée d’un référendum pour obliger les chômeurs à chercher activement du travail sous peine de perdre leurs allocations relève de cette idée que la pauvreté ne résulte pas d’une panne de « l’ascenseur social » mais d’un manque de volonté des pauvres eux-mêmes. Pour Suzanne Moore, nous nous habituons à être cruels. C’est une véritable faillite morale collective qui s’étale sous nos yeux et dont, par notre indifférence, nous sommes souvent complices.

 Photo BBC : personnes dormant dans leur voiture aux Etats-Unis.

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