Société26 décembre 20190Les âmes errantes

Dans « les âmes errantes » (2017), le psychothérapeute Tobie Nathan cherche à comprendre ce qui pousse des jeunes issus de l’immigration vers la radicalité islamique.

Depuis quarante-cinq ans, Tobie Nathan pratique la psychiatrie auprès de migrants. Il a rencontré en consultation de nombreux jeunes radicalisés ou en voie de l’être. Il évoque le parcours de plusieurs d’entre eux dans « les âmes errantes ».

Les « âmes errantes » sont ces jeunes descendants de migrants qui n’ont pas pu ou pas su maintenir vivante leur origine. « Si on l’ignore, si on n’y participe pas, si on ne la cultive pas, l’origine se dessèche comme peut s’assécher une source. »

Tobie Nathan (source Le Monde)

Privé de contact avec « ses morts », le jeune devient une âme errante, « flottante, angoissée, animée d’absence. Cet être est bon à prendre et à soumettre. C’est une proie pour les chasseurs d’âme. » Face au vide de la filiation, le jeune se convertit, ce qui signifie qu’il cherche une nouvelle affiliation religieuse. Et tout à coup, tout prend sens. Sa vie, son destin lui deviennent intelligibles.

Ce qu’il abhorre, c’est une société devenue illisible et incompréhensible à force d’hybridation, de dissolution des différences. Une religion monothéiste, surtout dans sa version radicale, établit des différences tranchées entre les hommes et les femmes, le haram et le hallal, le bien et le mal. Elle croit que Dieu ne supporte pas la volonté orgueilleuse de sa créature de supprimer les différences entre les êtres créés et que très bientôt il déclenchera l’apocalypse dont seuls les vrais croyants survivront pour accéder au paradis. Autrement dit, le « radicalisé » ne plonge pas ses racines dans le passé de sa famille particulier, mais dans un avenir universel imaginé.

Pour avoir quelque chance de faire bouger un radicalisé et lui faire prendre sa place dans la société, Tobie Nathan énonce le principe suivant : « toujours prendre le parti de l’intelligence de l’autre, de ses forces, de ses ressources, jamais de ses manques, de ses faiblesses, de ses désordres. »

Fils d’une famille juive de Caire expulsée d’Égypte par la révolution nassérienne quand il avait 9 ans, Tobie Nathan dit combien « les âmes errantes » est un livre personnel. En 1968, il a lui-même vécu ce passage à la radicalité d’une table rase. C’est pourquoi il pose sur les jeunes radicalisés d’aujourd’hui un regard fraternel, à moins qu’il ne soit paternel.

Tableau d’Odilon Renon

Commenter cet article

Votre email ne sera pas publié.