L’Express a publié le 13 juillet un article qu’il a intitulé « Nos prisons nous annoncent des malheurs ». Le magazine dénonce l’accroissement du nombre de personnes incarcérées et souligne le risque que cette situation comporte : « Il suffirait d’un été caniculaire pour mettre le feu aux poudres et déclencher mutineries ou grèves du personnel. »
L’article comporte aussi une interview du ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas. Celui-ci « souhaite provoquer une prise de conscience dans une opinion publique schizophrène : elle veut à la fois de l’enfermement comme manifestation d’une sévérité légitime, et de l’humanité par allergie aux conditions de vie dégradantes des détenus et des surveillants. Il faut que les Français et les responsables politiques se rendent compte de la gravité de la situation. »
Pierre-Victor Tournier, spécialiste du monde carcéral, a fait le point sur la situation au 1er juin 2016. Il y avait à cette date 68.542 personnes détenues. Le nombre de places opérationnelles était de 58.683. Or, 4.256 places étaient inoccupées (1.136 en maisons d’arrêt et 3.120 en établissements pour peine). Les personnes détenues se répartissaient donc 54.427 places (58.683-4.256). Le nombre de détenus en surnombre était donc de 14.115, soit 24% de la population carcérale.
1.474 détenus dorment sur un matelas par terre
Pour passer des chiffres à la réalité quotidienne, il faut se rendre compte que 1.474 des détenus en surnombre dormaient sur un matelas posé à même le sol. Pour mettre une note légère à ce sombre tableau, un détenu me disait récemment se réjouir d’avoir été transféré dans une cellule de 9m² avec deux lits superposés et un matelas par terre. Il y a retrouvé deux compatriotes algériens avec qui il peut communiquer. Sa vie dans une cellule normale à deux places avec un codétenu géorgien avec qui il ne pouvait parler était devenue un enfer !
Une information intéressante donnée par le ministre concerne les surveillants. Sur un nombre de postes théorique de 25.000, 4.000 manquent sur le terrain. C’est l’effet d’un taux d’absentéisme de 10% et aussi d’une grande difficulté à fidéliser le personnel : « Un quart des jeunes recrues quittent leur poste dans les trois ans (ils sont actuellement 868 élèves en formation). La raison est simple à comprendre : les surveillants sont des fonctionnaires de catégorie C et ils demandent à changer de métier ou de ministère afin d’être mieux payés. »
Tourner le dos au tout-carcéral
Jean-Jacques Urvoas dénonce le retard à créer de nouvelles places de prison. Mais il ne s’interroge pas sur le bienfondé d’une politique d’extension du parc carcéral. Comment se fait-il que des pays voisins comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni réduisent leur capacité ? Comment expliquer que le taux de criminalité et de réitération de crimes et délits n’y augmente pas en proportion inverse de la réduction du nombre de détenus ?
Le ministre constate que le bilan quantitatif de la peine alternative à la prison, la contrainte pénale, qu’avait instaurée Christiane Taubira « parait extrêmement faible ». Il rendra en septembre un rapport d’évaluation au Parlement. On pourrait espérer que le débat parlementaire permette enfin de mettre l’accent sur l’impasse du tout-carcéral et d’engager vraiment une politique de prévention hors des murs de la prison, avec un nombre suffisant de conseillers d’insertion et de probation. Dans le contexte sécuritaire actuel, cet espoir est ténu. Accrochons-nous à lui cependant, et faisons entendre nos voix !
Une réflexion sur « « Nos prisons nous annoncent des malheurs » »