JusticeLivres7 avril 20151Passés par la case prison

L’Observatoire International des Prisons (OIP) a publié un passionnant ouvrage sur la condition carcérale : « passés par la case prison » (La Découverte, 2014).

 Ce livre raconte l’expérience de la prison par cinq hommes et trois femmes qui l’ont vécue. Dans chacune des séquences figure une interview de la personne en cause, dans le cadre de la campagne « Ils sont nous » de l’OIP ; un texte rédigé par un écrivain après avoir lu le témoignage et rencontré la personne ; une fiche documentaire sur un aspect de la vie en prison ; et des photographies.

 

La prison vue par Playmobil
La prison vue par Playmobil

Les faits ayant conduit ces hommes et femmes en prison sont variés : braquages, attouchements sur mineurs, conduite en état d’ivresse et non respect des conditions du sursis, trafic de drogues, assistance à évasion… Le livre est remarquable par l’équilibre qu’il parvient à maintenir entre l’émotion de vies chamboulées par l’internement et la neutralité d’une information aussi objective que possible.

 Le coefficient de densité lexicale d’un jugement

 Le travail auquel les écrivains se sont livrés est, lui aussi, digne d’éloge. On y trouve, bien sûr, Philippe Claudel, auteur du « bruit des trousseaux » dont Transhumances s’est fait l’écho, mais aussi Olivier Brunhes, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Nancy Huston, Mohamed Kacim, Pierre Lemaitre et Gérard Mordillat. L’ouvrage est préfacé par Robert Badinter.

 Pierre Lemaitre a rencontré Véronique H, condamnée pour délit de conduite en état d’ivresse, et emprisonnée pour ne pas avoir respecté les conditions mises au sursis avec mise à l’épreuve qui lui avait été concédé. Véronique est presque analphabète et n’a jamais compris ce qui était attendu d’elle ni pourquoi, du jour au lendemain, elle s’est retrouvée en prison. Pierre Lemaitre mesure la « densité lexicale » du jugement à son encontre : « Dès lors, seule une révocation totale du sursis avec mise à l’épreuve en cours est de nature à sanctionner les manquements constatés. » Densité lexicale = 95,3%. La densité lexicale est le rapport entre le nombre d’éléments lexicaux (les mots porteurs de sens – substantifs, adjectifs, verbes, adverbes…) et le nombre de propositions (indépendantes, principales et subordonnées). Plus la densité lexicale est élevée, et plus difficile sera la lecture. Face à Véronique, « une personne, dit Pierre Lemaitre, qui pour exprimer ce qu’elle ressent, n’a quasiment pas de mots, le juge pourrait peser les siens. »

 La télé prend en charge, comme la prison

 Marie Darrieussecq fait parler Sacha : « J’étais seul dans ma cellule. La claustrophobie, je n’y pensais pas. Je faisais quelques pompes, et sinon, la télé. Du matin au soir. La lecture, c’est actif. Ça n’anesthésie pas. C’est trop constructif, ça fait appel à notre créativité. La télé, elle, prend en charge. Comme la prison. »

 Christophe de la Condamine évoque sa vie en prison : « en maison d’arrêt, on ne peut jamais être à poil, on prend même sa douche en caleçon : la pression s’accumule inévitablement. Après la sortie, redécouvrir le toucher humain, le corps d’une femme, c’est presque une épreuve ». Et Philippe Claudel de commenter : « Pour Christophe, il y a les années du dehors et les années du dedans. Et ce dedans est un trou noir où gît l’antimatière qui dévore ce qui vient près d’elle, l’aspire dans son néant intérieur. La prison est un non-lieu, une géographie de l’envers, où l’espace et le temps s’accouplent selon des règles qui n’existent que là. Là-bas plutôt. Les lois physiques ordinairement acceptées et qui régissent notre monde y sont mises à mal : en prison, chaque espace démesurément réduit génère un écoulement du temps inversement proportionnel à sa dimension. »

 Personne ne peut se transformer positivement en prison

 Mohamed Kacimi met ces mots dans la bouche de Matoub : « les barbus, je les hais. C’est les nouveaux. Avant ils dealaient, et quand ils ont vu la crise, c’était dur pour eux, ils ne savaient pas quoi faire comme bizness, parce que la drogue, c’est un métier, il faut être un commerçant, c’est pas donné à tout le monde. Même chose pour les casses, faut être audacieux, patient, faut du talent, alors qu’est-ce qu’on fait ? On se recycle dans la religion ! Ah je les hais : Et quand ils viennent me dire « ça c’est haram et ça c’est hallal, tu vas aller en enfer », je leur dis « Dégage, mais ça va pas ? Hier tu faisais du deal et aujourd’hui tu as appris deux sourates, tu viens me faire la leçon ? »

 Olivier Brunhes donne la parole à André, emprisonné pour des attouchements sur mineurs. « La prison est un mal nécessaire. C’est la menace. Un point d’arrêt. Il faut qu’il y ait une menace. Mais personne ne peut se transformer positivement là-bas. Personne ne peut réfléchir profondément à soi, à sa nature, à ses erreurs. Personne ne peut se transformer positivement là-bas (…) Les puissants dominent, exploitent, créent des réseaux. Pour beaucoup, la prison fait partie d’un plan de carrière. » (…) Un surveillant peut la paix carcérale. Si un gars reste confiné dans sa cellule parce que, s’il sort, d’autres détenus le tabassent dans les recoins ignorés des caméras (ce qui est fréquent dans le cas des « mœurs », des « pointeurs », des « pédos »), cela soulage le surveillant. »

 Prisonnier, c’est comme ministre, on garde le titre à vie

 « Dans quelle monnaie les prisonniers paient-ils leur dette ? demande Virginie Despentes après avoir rencontré Sylvie. En intégrité physique et émotionnelle. Et, dans les prisons de femmes, c’est l’outil le plus vicieux qu’on puisse imaginer, en privation de maternité. » (…) « Maintenant, dit Sylvie, je suis sortie mais c’est vrai que quand on parle des prisonniers, à la radio par exemple, je dis toujours « nous ». » C’est son identité. Prisonnier pour Sylvie, c’est comme ministre, on garde le titre à vie ».

 « Le milieu carcéral, dit Yazid, c’est un peu le pôle emploi de la délinquance. Il y a tous les corps de métier sur place : dealers, braqueurs, receleurs… Il suffit d’aller voir le bon pour perfectionner ses techniques. » Et Gérard Mordillat de commenter : « il n’y a pas de rédemption en prison ni d’élévation. Ceux qui parviennent à abattre les murs qui les cloîtrent sont la minorité des minorités. La prison tue en silence et la littérature est sans recours pour la multitude. »

Photo OIP
Photo OIP

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