CinémaMonde Arabe18 mars 20170Tramontane

« Tramontane » (Rabih), premier film de Vatché Boulghourjian évoque l’impossible travail de mémoire des Libanais sur la guerre qui les a déchirés de 1975 à 1990.

Rabih (Barakat Jabbour), musicien aveugle âgé de 24 ans, apprend, lors d’une demande de passeport, que sa carte d’identité est fausse. Elle a été forgée par son oncle Hisham (Toufic Barakat). Rabih n’est pas le fils biologique de sa mère Samar (Julia Kassar).

Il part à la recherche de son identité. Son oncle refuse de répondre à ses questions et disparait purement et simplement. Chaque personne qu’il rencontre lui présente sa version de ce qui s’est passé, en 1988, alors que son oncle était capitaine d’une milice. S’entremêlent mensonges et semi-vérités, et aussi le nom d’un autre protagoniste qu’il faudrait rencontrer, et qui lui aussi énoncera du faux et du vrai.

Beaucoup de Libanais sont tétanisés à l’idée de raconter ce qu’ils ont vécu pendant ces années d’horreur, parce qu’ils savent que leur récit ne peut cadrer avec celui de personnes membres d’autres communautés. Le réalisateur explique que le choix d’un aveugle pour le rôle principal n’est pas le fruit du hasard. « Ceux qu’il croise souffrent d’un handicap spirituel et psychologique qu’ils n’arrivent pas à surmonter – et qui les empêche de revenir avec lucidité et précision sur leur passé. Rabih «ne peut pas » voir, et ceux qui l’entourent sont « incapables » de l’introspection nécessaire pour analyser leurs traumatismes ».

Le choix que cet aveugle soit musicien apporte une touche d’espoir. La compositrice Cynthia Zaven l’exprime ainsi : « la musique a été la plus grande forme d’expression dans le monde arabe durant plusieurs siècles et occupe toujours une place centrale dans cette culture. Elle est aussi l’un des rares vecteurs qui peut recréer des liens dans des régions déchirées. Le Liban a été totalement fracturé par les conflits et, ce qui peut encore nous rassembler, est le partage de cet héritage commun ».

« Tramontane » est un film inconfortable. Le personnage de Rabih, buté dans sa recherche obstinée, n’attire pas la sympathie. La caméra prend souvent le parti de l’obscurité dans laquelle le maintient sa cécité. Les vérités que l’on découvre sont dérangeantes, comme est pesante la tentation de ne plus chercher la vérité et de s’accommoder de la chape de plomb qui recouvre le passé de peur que la guerre recommence.

L’inconfort que vit le spectateur est à mettre au crédit du réalisateur. On prend la mesure d’un conflit si profond qu’il est encore trop tôt, beaucoup trop tôt, pour y mettre des mots. Seule la musique y a sa place. Et le cinéma.

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