CinémaSociété10 juin 20171Une jeune fille de 90 ans

Arte TV a récemment diffusé un remarquable documentaire de Valeria Bruni Tedeschi et Yann Cordian : « une jeune fille de 90 ans ».

Le film est tourné dans l’unité gériatrique de l’hôpital Charles Foix à Ivry. Les résidents présentent des syndromes de sénilité. Certains restent prostrés dans un fauteuil, le corps recroquevillé et douloureux. Une femme profère en portugais des malédictions qui semblent se référer à un infanticide. Plusieurs sont muets, ou s’expriment par petits cris. Un personnel nombreux veille sur ce petit monde, aide aux repas, à la toilette, aux déplacements.

Le service propose des animations, par exemple un atelier de chant : l’animatrice a bien du mal à amener au ton et au rythme justes son effectif hétéroclite. Et pour une semaine intervient le chorégraphe Thierry Thieû Niang.

Son approche consiste à établir par le corps une communication avec chacune des personnes. Il peut s’agir de répliquer ses gestes pour l’intriguer et l’amener à sortir de soi. Ou de prendre ses mains pour que les doigts peu à peu se déplient et reprennent vie. Ou encore de mimer un envol et l’inviter, elle aussi, à s’affranchir, ne fût-ce qu’un tout petit peu, de la pesanteur.

Dans ce groupe de grands infirmes se trouve Blanche, âgée de 92 ans. Comme plusieurs autres résidentes, elle n’a pas eu de mari ni d’enfants et se trouve seule au monde. Sa vie dans un lieu où l’on vient pour mourir lui pèse. Elle n’a plus goût pour rien. Apathique, elle dédaigne la nourriture qu’on lui présente. Elle trouve minable l’atelier de chant.

Mais lorsqu’arrive Thierry, un feu se rallume en elle. Quand il l’invite à danser et que, tout doucement, il la fait virevolter, quand il la soulève, quand elle assure son équilibre dans une posture difficile, elle est saisie par la magie de cet instant. Blanche s’abandonne totalement, mais d’une certaine manière c’est elle qui conserve le contrôle. Elle drague le danseur en bonne et due forme. Elle découvre en elle un potentiel de séduction effacé depuis des décennies. Comme dans la chanson, la vieille dame sénile écrasée par le destin est devenue une jeune fille de 90 ans.

Thierry Thieû Niang croit en la communication par la danse. Il intervient avec des publics de toutes générations dans les écoles, les associations, les hôpitaux, les prisons. « Je vérifie chaque jour que l’art peut apporter aux êtres de la joie et du plaisir, mais aussi des outils sensibles, critiques et citoyens nécessaires pour aborder les questions du monde, de l’intime et d’ouverture aux autres. »

Voici le sens qu’il donne à son action : « transmuer la plus grande solitude en un endroit de partage, se laisser traverser par les autres, se donner la possibilité de se transformer tout en restant fidèle à un geste intérieur, un souffle. C’est être présent au monde en y renaissant sans cesse, et jusqu’au bout. »

Le film de Valeria Bruni-Tedeschi et Yann Cordian le montre à l’œuvre. C’est d’une intensité inouïe, et d’une grande beauté.

One comment

  • Agnès Gueuret

    12 juin 2017 at 8h56

    Merci, Xavier, de relayer ce film d’une immense beauté et en même temps si poignant. Pour avoir côtoyé de longues heures une « résidence » de personnes de l’âge de Blanche, atteintes plus ou moins dans leur corps et leur tête par la vieillesse sous bien des formes, j’ai été très sensible à ce documentaire et admirative de ce chorégraphe : il y a la danse mais aussi ce dialogue avec Blanche magnifique d’humaine vérité.. .. Merci, Xavier. Amitiés, Agnès

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