Justice11 mai 20200Urgence sanitaire : les droits de l’homme menacés ?

La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) vient de publier deux avis qui alertent sur le risque que l’état d’urgence sanitaire fait planer sur les droits humains.

La CNDCH est l’institution nationale de promotion et de protection des droits de l’Homme français, créée en 1947 et actuellement régie par une loi de 2007. Elle est composée de 64 membres, représentants d’ONG ou personnalités qualifiées.

Elle a publié le 3 mai deux avis : « État d’urgence sanitaire et état de droit » et « Une autre urgence : le rétablissement d’un fonctionnement normal de la justice ». Alors que l’état d’urgence sanitaire devrait être prolongé jusqu’au 10 juillet, ces avis obligent à réfléchir.

 

L’état d’urgence sanitaire

En ce qui concerne l’état d’urgence sanitaire, la CNCDH rappelle « que si des mesures limitatives des droits et libertés peuvent être prises, compte tenu de situations exceptionnelles, c’est à la condition qu’elles respectent les principes de stricte nécessité, d’adaptation et de proportionnalité. De même, il est impératif que ces mesures respectent le principe de non-discrimination qui interdit notamment toute discrimination fondée sur le handicap, l’âge ou l’origine sociale. Dans l’application des mesures générales, une attention particulière doit être apportée aux besoins spécifiques des groupes vulnérables, comme les migrants, les mineurs non accompagnés et les personnes en situation d’extrême pauvreté, les chômeurs et les travailleurs précaires. »

La CNCDH met en doute la nécessité d’une loi d’urgence sanitaire : le gouvernement ne disposait-il pas déjà d’outils suffisants pour gérer la crise sanitaire ? Elle s’inquiète d’une « concentration entre les mains de l’Exécutif du pouvoir de restreindre les droits et libertés que la République n’a jamais connue en temps de paix ». Elle déplore l’affaiblissement des mécanismes de contrôle, en particulier la suspension du contrôle de la constitutionnalité des lois.

La CNCDH souligne la situation ubuesque des étrangers en situation irrégulière enfermés dans un centre de rétention administrative, et que la loi d’urgence sanitaire empêche de libérer. Il y a là une contradiction flagrante, puisque « leur maintien en rétention a pour finalité un éloignement que la fermeture des frontières interdit. » La Commission souligne par ailleurs qu’ils sont exposés à un risque particulier de contamination.


Le fonctionnement de la justice

La CNCDH « s’inquiète de ce que les ordonnances du 25 mars 2020 relatives à la justice mette en place une justice en mode dégradé qui aujourd’hui ne remplit plus la plupart de ses missions. C’est la première fois qu’un état d’urgence conduit à suspendre massivement l’activité des tribunaux, comme si la justice n’était pas un service public essentiel à la vie de la nation. La CNCDH regrette ce traitement du service public de la justice qui méconnait son rôle de pilier de l’état de droit. » Elle rappelle que « la première fonction de la justice est de garantir les droits de chacun, notamment pour les plus vulnérables. Le corps social ne peut durablement supporter que les tribunaux soient fermés. Si le droit d’accéder à un juge est suspendu, c’est l’état de droit qui se trouve mis entre parenthèses. » Elle estime que, « intervenant dans un contexte judiciaire déjà marqué par des tensions importantes, les mesures liées à la crise sanitaire portent aux droits et libertés fondamentaux une atteinte que la CNCDH estime disproportionnée. »

La CNCDH proteste contre l’impossibilité faite aux citoyens de soumettre aux juges des contentieux non jugés essentiels. Elle regrette l’atteinte aux droits de la défense, en particulier en créant une dissymétrie entre le juge, présent au tribunal, et l’avocat qui se fait entendre par téléphone ou en vidéo. Elle estime que la prolongation des détentions provisoires n’est pas admissible et doit être abrogée sans délai. les dispositions relatives à la détention provisoire ne sont pas admissibles et doivent être abrogées sans délai. « N’est-il pas paradoxal, demande-t-elle, au moment où l’on tente de désengorger les prisons pour des raisons sanitaires évidentes, d’y maintenir des détenus provisoires dont on sait qu’ils constituent déjà plus du quart de la population carcérale ? »

En ce qui concerne l’application des peines, la CNCDH s’inquiète du doublement du délai d’examen des demandes d’aménagement de peine en cas d’appel suspensif du ministère public. Elle souligne que ce délai est susceptible de mettre en péril le projet de sortie et les dispositifs mis en place en matière d’emploi, de logement, de soins, etc., et donc de porter un préjudice grave aux personnes concernées. L’augmentation de ce délai entre par ailleurs en contradiction avec l’objectif de déflation carcérale.

La CNCDH s’inquiète aussi de la possibilité offerte à l’administration pénitentiaire d’incarcérer les personnes condamnées en maison d’arrêt, quel que soit le quantum de peine à subir. « Cette disposition, qui porte une atteinte supplémentaire au principe de séparation des prévenus et condamnés, entrave la mise en place d’un parcours d’exécution des peines individualisé pour les personnes condamnées et ne saurait être prolongé au-delà de l’état d’urgence sanitaire. »

Extrait d’une publication de la CGT

Ne pas glisser des dispositions d’exception dans le droit commun

En conclusion, la CNCDH « met en garde contre la tentation d’un glissement des dispositions d’exception dans le droit commun, déjà observé à propos de l’état d’urgence à l’occasion de la menace terroriste »

Concernant spécifiquement les prisons, « la CNCDH se félicite des mesures prévues par l’ordonnance afin de réduire la surpopulation carcérale et invite le gouvernement à poursuivre, au-delà de l’état d’urgence sanitaire, une véritable politique de déflation carcérale (réduction du nombre de personnes écrouées, élargissement des critères de libération, dématérialisation des démarches). Elle rappelle que la France a été condamnée pour ses conditions de détention inhumaines et dégradantes, le 30 janvier 2020, par la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a invitée à prendre des mesures visant « la résorption définitive de la surpopulation carcérale ». Pour autant, la CNCDH appelle l’attention sur le fait que l’élargissement des critères de libération doit être organisé pour garantir l’égalité devant la justice et ne pas sur-pénaliser ceux dont le droit au logement n’est pas effectif. »

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