LivresSociété20 juillet 20200Virus ennemi

Dans « Virus ennemi, discours de crise, histoire de guerres » (Tracts Gallimard, juin 2020), Jean-Noël Jeanneney s’interroge sur les parallélismes et les différences entre la « guerre au virus » et les conflits mondiaux du vingtième siècle.

 Dans son émission « Concordance des temps », sur France Culture le samedi matin, Jean-Noël Jeanneney s’attache à éclairer le présent par les leçons du passé. Lorsque le président de la République déclare, le 16 mars 2020, la guerre au Coronavirus, et lorsqu’il le décrit le 13 avril comme un ennemi « invisible, insaisissable et qui progresse », il fait appel à la mémoire collective d’autres états de guerre, celui de 1914 et celui de 1940.

 « La quête des concordances, écrit-il, trouve sans peine, ces semaines-ci, à alimenter une curiosité intellectuelle et une ardeur civique. Ce peut être d’abord, tout simplement, au plus près du quotidien, dans ce fait que jamais, depuis 1940 – 1945, la vie n’a été bouleversée de semblable façon. »

Guerre au virus à Times Square, New-York

L’auteur s’interroge sur « la capacité des institutions démocratiques à tenir bon au cœur de l’orage ». Des mesures limitant les libertés, et d’abord celle d’aller et venir, sont certainement légitimes. Mais « aura-t-on la sagesse, dans la lutte contre le virus, de ne prendre que des mesures qui soient indispensables, rigoureusement proportionnées au défi et strictement temporaires ? » Cette inquiétude est partagée, on le sait, par la Commission Consultative Nationale des Droits de l’Homme.

 Un autre angle de réflexion concerne l’égalité. Le virus touche tout le monde, riche ou pauvre. Mais il révèle aussi des inégalités, comme celles qui opposaient pendant la grande guerre les Poilus aux embusqués : tout le monde n’a pas vécu le confinement de la même manière.

 Le Coronavirus, comme les conflits armés, génère des rumeurs. « Très tôt fleurirent, dans les tranchées, la conviction du rôle de forces occultes, le décri des responsables que n’auraient mus que leur esprit de lucre, la protection de leurs privilèges. Une certitude dominait : plus les preuves d’une ignominie étaient absentes, plus sa vérité s’imposait – puisque ce silence même témoignait de l’efficacité de ceux qui parvenaient à cacher les hideux secrets et l’existence de ces méfaits. » On sait que le Coronavirus a déclenché des vagues d’infox : il aurait été déclenché intentionnellement par la Chine (ou les États-Unis, selon les versions), il aurait été provoqué par le déploiement de la 5G (soit par contamination, soit pour occulter l’installation des équipements, selon les versions), etc.

 Le parallèle avec la grande guerre a ses limites : alors qu’il s’agissait d’aller au front, le sens civique implique aujourd’hui de rester chez soi ! Mais lorsqu’il s’agit d’organiser la résistance ou, plus tard, de trouver des financements pour la reconstruction, c’est vers l’État que l’on se tourne, cet État, peu à peu vidé de sa substance par l’idéologie néolibérale : « l’État extralucide, intangible, impeccable ? Il ne le sera jamais. Mais si, au cœur même du cauchemar que nous vivons, nous espérons quelque lumière, sachons qu’elle viendra de lui. »

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