Dans la chronique intitulée « on verra bien », je décrivais le fatalisme de Kevin, un jeune homme actuellement détenu en maison d’arrêt. Dans le temps mou de la prison, les choses évoluent parfois vite, pas toujours dans le bon sens.
Kevin semble subir les événements de sa vie (« on verra bien »). Je me demandais la semaine dernière s’il réaliserait son seul projet : demander de changer de cellule, son codétenu lui étant devenu insupportable.
Kevin a effectué cette démarche. La réponse a été positive, mais il devait changer d’étage. Il a refusé. On lui a expliqué que ce refus entraînerait son déclassement : il perdrait son statut « d’auxi » (auxiliaire). L’auxi distribue les repas et nettoie les parties communes. Il bénéficie d’une position privilégiée et enviée : il est touche un pécule, la porte de sa cellule reste ouverte, il peut circuler à son gré à son étage. Kevin est resté inflexible. Il est donc redevenu détenu lambda, bloqué 22 heures par jour dans 10m², sans argent pour cantiner son indispensable tabac. Il va demander à travailler à l’atelier, sans certitude d’être accepté.
Nos conversations hebdomadaires sont chargées de silence. Kevin ne semble s’intéresser à rien de ce qui passe à la télévision, pourtant branchée en permanence : actualité, sport, films ou séries l’indiffèrent, à l’exception de l’émission de téléréalité « les Marseillais en Thaïlande », projetée à 19h sur W9. J’ai regardé en podcast un épisode, histoire de nourrir nos échanges. Peine perdue, la série vient de s’arrêter !
La sécheresse du temps que nous passons ensemble chaque semaine me pèse. Je me sens coupable de ne pas savoir trouver le sujet de conversation qui l’intéressera, sur lequel il embrayera, à partir duquel il aura des idées d’avenir et pourra construire un projet de réinsertion. Me voici à mon tour embarqué dans l’histoire de Pierrette et du pot au lait !
Découragé, je parle au téléphone avec la conseillère d’insertion chargée de Kevin. Elle met sous mes yeux un fait tout simple que je n’avais pas vu. Si Kevin ne trouvait pas d’intérêt à nos conversations, il refuserait de venir me rencontrer aussi sèchement qu’il a refusé de changer d’étage. Peu importe mon impression de sur-place. Je ne suis pas un professionnel astreint à des objectifs. Comme bénévole, je donne gracieusement de mon temps. Et cela suffit.