Société29 juin 20210Cannelle et Piment

Dans « Cannelle et Piment, l’histoire d’une entreprise associative au féminin », livre publié  aux Éditions Repas, Agnès Rollet raconte les vingt cinq ans d’une association de Vaulx en Velin dont le slogan est « partageons nos valeurs, partageons nos saveurs ».

Aujourd’hui, Cannelle et Piment est une association qui exerce une activité de traiteur en mets exotiques, emploie plusieurs salariés et participe à l’animation de son quartier par l’organisation de rencontres de femmes sous le nom de Café Cannelle.

Le livre d’Agnès Rollet commence par une description du parcours d’immigration de Zoulikha (Bensekrane, Algérie), Haïfa (Métouia, Tunisie) et Juliet (Badjeda, Irak). Il plante le décor, la ville de Vaulx en Velin, « de la zone agricole à la banlieue multiculturelle ». Il s’intéresse ensuite à la genèse de Cannelle et Piment.

Lors du lancement du livre « Cannelle et Piment, l’histoire d’une entreprise associative au féminin

Dans les pas de Paulo Freire

Cannelle et Piment a été créée par une Chilienne, Chimène Séruzier, qui était alors agente de développement dans un centre social de Vaulx en Velin. Elle s’inspirait de la pensée du pédagogue brésilien Paulo Freire, que résume cette phrase : « personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les Hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde. »

Chimène Séruzier résume ainsi ses principes d’action : « il faut faire émerger une parole collective pour faire prendre conscience d’un problème et ensuite passer à une action transformatrice. Pour moi, a contrario de beaucoup de travailleurs sociaux, le collectif c’est rassurant, c’est un groupe « chaud » dans lequel j’aime travailler. Il s’agit de s’inscrire dans un processus du vivant, en favorisant les liens de solidarités entre les membres, afin d’être dans le don et le contre-don et en recherche d’un sens commun. »

« Parfois, dit-elle, je regarde les quartiers et je vois ces chômeurs qui se détruisent, enfermés chez eux, et qui détruisent leur famille. Je vois ces femmes seules qui souffrent du déracinement. Je visualise des richesses, des savoir-faire qui sont statiques. Et j’ai très envie de mettre en mouvement cette énergie statique (…) De déclencher, enclencher le processus du vivant… Déclencher la parole. Faire émerger la demande. Être pris par la spirale, dans un processus dynamique, dans lequel on est pris par un courant pour remonter dans l’espace, dans les hauteurs et regarder la vie autrement. Et là on touche au rêve. Le rêve a du sens. Et l’on rentre dans le processus de construire le rêve à plusieurs, en se partageant les tâches et les rôles. »

Des conflits surmontés

Le parcours de Cannelle et Piment n’a pas été un « long fleuve tranquille ». De nombreux conflits ont jalonné son existence. Le premier d’entre eux a concerné les travailleurs sociaux. Ceux-ci ont tendance à projeter sur les initiatives de terrain un cadre de référence prédéfini. La méthode de Cannelle et Piment, qui consiste à partir du vide pour animer les échanges et construire des rêves ensemble, plutôt que de venir avec une proposition d’action structurée, les prend à rebrousse-poil. Pendant les premières années, le centre social exerçait la présidence de l’association, et s’en émanciper n’a pas été sans douleur.

Un autre conflit est né de la professionnalisation de l’activité. À mesure que croissait l’activité de traiteur, qui s’exerce dans le champ concurrentiel, il a fallu « rentrer dans le rang », payer des impôts, disposer d’une cuisine respectant des standards d’hygiène contraignants, compter les heures, écarter les recettes culinaires chronophages. Lorsque la cuisine est devenue « laboratoire », beaucoup de femmes du quartier n’ont pas compris : elles avaient l’habitude de venir y faire mijoter des plats familiaux.

Il a fallu recruter un gestionnaire. Le poste est exigeant : il faut recevoir les commandes, passer les achats, donner des instructions en cuisine, assurer la comptabilité. Plusieurs gestionnaires sont passés, ne restant que quelques années. L’une d’entre eux a détourné en un an plus de 50 000€. Comment faire en sorte que la voix de celui ou celle qui occupe ce poste stratégique ne confisque pas la parole des membres de l’association ?

Une difficulté actuelle consiste à renouveler l’équipe des bénévoles qui, extérieurs à l’activité de traiteur, aident l’équipe à monter des dossiers de subvention, organiser des fêtes, superviser la comptabilité et le contrôle de gestion. C’est une préoccupation, à l’heure où les engagements lourds sur une longue durée ne sont pas en vogue.

Rallumer des flammes éteintes

Agnès Rollet, qui est l’une des bénévoles et a été présidente de 2000 à 2003, livre un témoignage passionnant sur ce qui est devenu une référence de la vie associative à Vaulx en Velin. Elle met bien en évidence le « processus du vivant » au cœur de la méthode de Chimène Séruzier et aussi la chaleur du travail en commun.

La fête est une constante dans l’histoire de Cannelle et Piment. Elle permet d’entrer en contact avec des clients et prospects, avec toujours le souci de ne pas rester entre soi et de rencontrer des gens d’autres milieux. Elle fait aussi partie de « l’ADN » des participantes. « Quand elles décident d’organiser des fêtes autour de leurs cultures pour les faire connaître à travers tous les sens : la cuisine, les odeurs, les costumes traditionnels, la musique, les contes, les danses… elles rallument de nombreuses flammes éteintes dans leurs cœurs. »

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