Grande pauvreté

François, actuellement détenu en maison d’arrêt, parle souvent de son fils Maxime, qui surnage dans une grande pauvreté.

Maxime, 22 ans, vit avec sa compagne Fadila, 18 ans, et leur petite fille Lina qui vient de souffler sa première bougie. Ni Maxime ni Fadila ne travaillent. Ils vivent sur le RSA. Dès le 15 du mois, la disette s’installe. Il faut appeler au secours la maman et le grand-père de Maxime. Les journées se passent dans la maison, sur le canapé, dans les vapeurs de shit. D’une certaine manière, ces vapeurs sont bienvenues : elles masquent l’odeur du rottweiler que Maxime a acheté, chiot, avec l’argent que son père lui avait envoyé avant Noël afin de payer l’essence nécessaire pour venir le voir au parloir.

La maison louée par Maxime est dévastée par le chien. Fadila a brisé une porte vitrée, et des morceaux de verre s’en détachent. Des poules ravagent le jardin.

La mère de Maxime lui a payé une Citroën C3 neuve, dans laquelle il met de l’essence 10€ par 10€. Il aimerait vendre la Citroën pour s’acheter une Audi d’occasion. Lorsque la Citroën a été accidentée, Maxime a dépensé l’argent de l’assurance ; il tente de s’entendre avec le garagiste sur un échéancier de remboursement.

Vivre dans l’attente

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Maxime a pris une grande décision : s’engager dans l’armée. Il attend la réponse, et dans l’attente ne lit pas les petites annonces, ne se rend pas à Pôle Emploi et de fréquente pas les agences d’intérim. Il a travaillé quelques semaines comme manœuvre dans une entreprise de menuiserie et a considéré qu’on ne le respectait pas : il n’a pas envie de chercher du travail. Son enrôlement dans l’armée est improbable : le haschich l’a abîmé, des gendarmes sont venus chez lui pour lui enjoindre de déclarer en mairie la possession d’un chien d’attaque. Peu importe : puisqu’il a fait une demande, il n’a plus qu’à attendre.

Ce qui frappe chez Maxime, tel que François le raconte, c’est l’incapacité de se projeter dans l’avenir. S’il est en colère, il détruit d’un coup de pied le téléviseur. S’il dispose d’un peu d’argent, même s’il lui a été donné par son père pour qu’il puisse le visiter en prison, il le dépense instantanément.

Apprivoiser le temps

Dans un article paru dans « Recherches » (n°36, 2002), Françoise Leclerc du Sablon, militante à ATD Quart Monde, alors enseignante en prison, soulignait le fait que l’impossibilité pour une personne de se projeter dans le temps caractérisait la grande pauvreté. Le pauvre est centré sur lui-même et sur l’instant. Se rendre à un rendez-vous fixé par un travailleur social représente une vraie difficulté : il doit se projeter en avant (l’heure du rendez-vous) et ailleurs (le bureau du travailleur social).

Le temps vu par Salvador Dali
Le temps vu par Salvador Dali

Elle écrit : « bien des personnes que j’ai connues comme élèves, adolescents, jeunes et adultes en situation d’illettrisme, détenu(e)s, ont d’abord été blessées ou mal traitées dans leur vie, déjà leur vie d’enfant ; beaucoup n’ont pas bénéficié de structure familiale stable, ou bien ils ont grandi dans une famille décomposée où la structure monoparentale n’a pas non plus permis que le rôle de tiers soit assuré entre l’enfant et la mère, rôle de médiation du père qui diffère la satisfaction des désirs : « Chacun son tour », « chaque chose en son temps ». Le père médiateur qui fait sortir l’enfant de la logique de satisfaction immédiate du “tout maternel”.

Le père qui introduit donc le temps, le temps du désir, qui doit permettre à l’enfant après 4 ans de sortir de l’âge de la toute-puissance. Si l’enfant n’accède pas au temps, à la chronologie, il lui sera trop difficile de penser, il y renoncera et se l’interdira. »

Apprivoiser le temps est la tâche qu’un jour devront affronter Maxime, Fadila et aussi Lina. C’est un redoutable défi.

 

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